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n’en fut que plus effrayée, et elle se mit à faire des signes de croix, tantôt sur lui, tantôt sur elle-même.

Aratof finit par écarter sa main et, gardant cette même expression sur son visage, prononça :

— Mais qu’avez-vous donc, tante ?

— Toi, qu’as-tu, Yachinka ?

— Moi ? je suis heureux ! heureux, Platocha, voilà ce que j’ai… et maintenant je désire dormir.

Il voulut se lever, mais il éprouvait une si grande faiblesse dans les jambes et dans tout son corps, que sans l’aide de sa tante et de la servante il lui eût été impossible de se déshabiller. Une fois couché, il s’endormit aussitôt. Son visage conservait toujours la même expression, exaltée et bienheureuse, mais ce visage était bien pâle.

XIX

Le lendemain matin, quand Platonida entra dans la chambre, elle le trouva dans la même position. Sa faiblesse n’avait pas diminué, et il préféra rester au lit. La pâleur de son visage déplaisait surtout à Platonida.

— Mon Dieu, Seigneur ! pensa-t-elle, pas une goutte de sang aux joues, et il refuse du bouillon ; le voilà là, couché, il ne fait que sourire et assurer qu’il se porte tout à fait bien ! Mon Dieu, qu’est-ce que cela signifie ?

Aratof refusa également de déjeuner.

— Qu’est-ce, Yacha ? demanda Platonida. As-tu l’intention de rester couché comme ça tout le jour ?

— Pourquoi pas ? répondit Aratof d’un air caressant.

Cet air caressant déplut encore à Platonida. Aratof avait l’air d’un homme qui vient d’apprendre un grand secret, très heureux pour lui et qu’il cache avec un soin jaloux. Il attendait la nuit, non avec impatience, avec curiosité.

— Quoi encore ?… se demandait-il. Qu’est-ce qui peut encore arriver ?

Il avait complètement cessé de s’étonner ; il ne doutait plus