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La main de Clara se souleva lentement et retomba de nouveau.

— Tes yeux !… tes yeux !… murmura Aratof.

Et la tête de Clara se tourna lentement, ses paupières baissées se soulevèrent et deux prunelles sombres se fixèrent sur Aratof.

Il se rejeta en arrière :

— Ah ! fit-il avec un long frémissement.

Les yeux de Clara restaient fixés sur lui, et ses traits conservaient la même expression grave, rêveuse, presque mécontente. C’est avec cette même expression qu’elle avait paru sur l’estrade le jour de la matinée musicale, avant d’avoir aperçu Aratof. Mais, comme cette fois aussi, elle rougit tout à coup, ses traits s’animèrent, son regard s’alluma et un sourire heureux, un sourire de triomphe éclaira ses lèvres.

— Tu as vaincu et je suis pardonné, cria Aratof. Prends-moi, car tu m’as pris, je suis à toi et tu es mienne !

Elle allait s’élancer vers lui, mais c’est lui qui se précipita sur elle ! Il voulait embrasser ces lèvres qui souriaient, ces lèvres triomphantes… et il les embrassa… il sentit leur attouchement brûlant… il sentit même la fraîcheur humide de ses dents blanches… et un cri déchirant, un cri de volupté mourante retentit dans la chambre subitement obscurcie.

Accourue à ce cri, Platocha le trouva sans connaissance… Il était encore à genoux, sa tête était tombée sur le fauteuil, ses deux bras étendus pendaient inertes. Son visage pâle respirait un bonheur inexprimable.

Platonida tomba à côté de lui, le prit à bras-le-corps, ses pauvres bras faibles essayèrent de le soulever.

— Yacha ! mon petit Yacha ! mon pauvre petit Yachonet ! répétait-elle… Il ne bougeait pas.

Alors Platonida se mit à crier comme une folle ; la servante accourut. À elles deux, elles le soulevèrent tant bien que mal, l’assirent, se mirent à l’asperger d’eau où elles avaient trempé une sainte image.

Il revint à lui ; mais, aux questions de la tante, il ne répondait que par des sourires, avec une expression si béate, qu’elle