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— Et voici le lac, continue l’intendant. Voici le lac ; regardez comme il est bleu et uni… et voici un petit bateau en or. Désirez-vous faire une promenade ? Entrez dedans, il nagera de lui-même.

— Je n’y entrerai pas, pense Aratof. Le mal va venir ! — Et pourtant il entre, il s’assied… Au fond du bateau se tient accroupi un petit être, semblable à un singe, il tient dans sa petite main un flacon avec une liqueur brune. « Ne vous inquiétez nullement, lui crie du rivage l’intendant ; ce n’est rien, ce n’est que la mort. Bon voyage ! » Le bateau part comme une flèche… et voilà que tout à coup fond un tourbillon, non comme celui de la veille, silencieux et mou, mais noir, hurlant, terrible. Tout se confond à l’entour et, au milieu de ce vertige de ténèbres, il voit Clara, en costume de théâtre, qui approche de ses propres lèvres un flacon de poison… Des bravos lointains éclatent et une voix brutale crie à l’oreille d’Aratof : « Ah ! tu as cru que tout finirait en comédie ?… Non, c’est une tragédie… une tragédie ! »

Tout éperdu, Aratof se réveille… Il ne fait pas sombre dans la chambre… une faible lueur glisse on ne sait d’où et éclaire tous les objets, triste et immobile… Aratof ne se rend pas compte d’où vient cette lumière, il ne sent qu’une chose : Clara est ici, dans cette chambre, il en a la conscience absolue… Il est de nouveau et pour toujours en son pouvoir… et de ses lèvres s’arrache le cri :

— Clara, tu es ici ?

Dans la lueur immobile de la chambre s’entend distinctement le mot : Oui !

Aratof répète d’un souffle éteint la question…

— Oui !

— Alors je veux te voir ! s’écrie Aratof. Et il saute hors de son lit.

Il resta quelque temps à la même place, les pieds nus sur le plancher froid. Ses regards erraient.

— Où donc ?… où ? murmuraient ses lèvres tremblantes. Rien à voir, rien à entendre ! Il regarda avec attention tout à l’entour, et vit que la faible lumière qui remplissait la chambre venait d’une veilleuse entourée d’une feuille de papier, posée