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se trouver dans le voisinage de l’autre ?… Ou pour quelle raison ? Il n’aurait pu le dire ; mais le portrait de sa mère réveilla en lui le souvenir de son père, qu’il avait vu mourant dans cette même chambre, dans ce même lit. « Et toi, père, que penses-tu de tout ceci ? demanda-t-il. Tu dois tout comprendre ; toi-même tu as cru à ce monde des esprits, si prompt à s’ingérer dans les choses humaines… Donne-moi un conseil. »

— Il m’aurait donné le conseil de jeter de côté toutes ces folies, ajouta-t-il à haute voix, et il prit un livre. Mais il ne put lire longtemps ; et, sentant une sorte d’appesantissement dans tout son être, il se coucha plus tôt que d’habitude, bien persuadé qu’il allait s’endormir sur-le-champ. Ce qui arriva ; mais son attente d’une nuit tranquille ne se réalisa pourtant point.

XVIII

Minuit n’avait pas fini de sonner, qu’il eut un rêve étrange et menaçant.

Il se voit dans une belle maison de campagne, dont il est le propriétaire. Depuis peu il a acheté cette maison et le domaine environnant ; il est riche ; et pourtant il se dit toujours : « C’est très bien, mais cela finira mal ! » Autour de lui frétille un petit homme, son intendant, qui ne cesse de rire, de saluer, et qui veut lui montrer comme tout dans la maison et dans le domaine est en bon ordre. « Daignez venir, venez, répète-t-il en faisant un hihi entre chaque mot. Voyez comme tout est admirable chez vous. Voyez ces chevaux, quelles superbes bêtes ! » Et Aratof voit une rangée d’énormes chevaux dans des stalles ; leurs crinières, leurs queues, sont magnifiques ; mais dès qu’Aratof passe devant eux, toutes les têtes se tournent à la fois de son côté et lui montrent de longues dents ricanantes. « C’est bien, pensa Aratof, mais le mal va venir. »

— Daignez passer dans le jardin, répète l’obséquieux intendant. Voyez quelles belles pommes vous avez !

En effet, les pommes sont très belles, rondes et rouges… mais dès qu’Aratof les regarde, elles se flétrissent… et tombent… — Le mal va venir, pense Aratof.