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La maison de la veuve Milovidof était en effet telle que Kupfer l’avait décrite, et la veuve elle-même semblait être une des marchandes des comédies d’Ostrofski, tout en étant femme d’employé. Son mari avait eu le grade d’assesseur de collège. Non sans quelque hésitation, Aratof, après s’être préalablement excusé de sa hardiesse et de l’étrangeté de sa visite, prononça le speech qu’il avait préparé : comme quoi il avait l’intention de rassembler tous les renseignements nécessaires sur la jeune artiste prématurément enlevée au monde. Il ajouta que ce n’était pas une vaine curiosité qui l’amenait, mais bien une profonde sympathie pour un talent dont il avait été l’admirateur (il se servit vraiment du mot : admirateur) ; et qu’enfin c’eût été un péché de laisser le public dans l’ignorance de ce qu’il avait perdu, et pourquoi ses espérances avaient été frustrées ! Mme Milovidof n’interrompit pas Aratof, elle ne comprenait pas trop bien ce que lui disait ce visiteur inconnu. Elle se contentait de l’examiner curieusement de la tête aux pieds, tout en trouvant qu’il avait l’air modeste, qu’il était habillé convenablement et que, pour sûr, ce n’était ni un vagabond, ni un demandeur d’argent.

— Tout ça, c’est à propos de Katia ? dit-elle, quand Aratof se tut.

— Oui, madame, de votre fille.

— Et vous êtes venu pour cela de Moscou ?

— De Moscou.

— Seulement pour cela ?

— Mais oui.

Mme Milovidof se redressa tout à coup.

— Vous êtes un auteur ? Vous écrivez dans les journaux ?

— Non, je ne suis pas un auteur, et jusqu’à présent je n’ai pas écrit dans les journaux.

La veuve baissa la tête, elle ne savait trop que penser.

— Ainsi donc, de votre propre gré ? demanda-t-elle brusquement.

Aratof ne trouva pas sur-le-champ que répondre.

— Par sympathie, par respect pour le talent, dit-il enfin.

Le mot de « respect » plut à Mme Milovidof.

— Enfin, dit-elle avec un soupir, quoique je sois sa mère, et