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blantes et un éclair de colère dans les yeux. J’ai vingt-cinq ans passé, je sais ce que je fais, et je suis libre de faire ce que je veux. Je ne permettrai à personne… Donnez-moi de l’argent pour le voyage, préparez-moi ma malle avec du linge et des habits, et ne me tourmentez plus. Je reviendrai dans une semaine, Platocha, ajouta-t-il d’une voix plus douce.

Platocha se releva en geignant et, sans répliquer, se traîna dans sa chambre. Yacha l’avait effrayée.

— Ce n’est pas une tête que j’ai sur les épaules, disait-elle à la cuisinière qui l’aidait à emballer les effets de Yacha ; ce n’est pas une tête, c’est une ruche, et quelles sont les abeilles qui y bourdonnent, je n’en sais rien. Il va à Kazan, ma mère, il va à Kazan !

La cuisinière, qui avait vu la veille leur dvornik avoir une longue conversation avec un homme de police, eut un instant l’idée de faire part à sa maîtresse de cette circonstance, mais elle se mordit la langue et se contenta de penser : À Kazan ? pourvu que ce ne soit pas beaucoup plus loin !

Quant à Platocha, elle était tellement bouleversée qu’elle ne prononçait même plus sa prière habituelle ; dans une pareille calamité, Dieu lui-même ne pouvait pas lui venir en aide !

Le jour même, Aratof partit pour Kazan.

XII

Arrivé dans cette ville, il prit à peine le temps de retenir une chambre dans une auberge, et courut à la recherche de la maison de la veuve Milovidof. Pendant tout le voyage, il s’était trouvé dans une sorte de torpeur qui ne l’empêchait pourtant pas de s’occuper du nécessaire, de se transporter du chemin de fer au bateau à vapeur, de dîner aux stations. Il continuait à être persuadé que, , tout s’éclaircirait, et, chassant loin de lui tout souvenir et toutes considérations, il se contentait de préparer dans sa tête le speech par lequel il exposerait à la famille de Clara Militch le motif de son voyage. Le voilà enfin arrivé devant la porte ; il se fait annoncer. On le laisse entrer, avec étonnement, mais on le laisse entrer.