Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.

savons, — Aratof aurait dû dire : « Nous avons lu dans des livres », — que la fierté peut très bien faire bon ménage avec une conduite légère ; et, en second lieu, comment, elle si fière, a-t-elle donné un rendez-vous à un homme qui aurait pu lui témoigner du dédain, et qui lui en a témoigné ? Mais, ici, Aratof se demanda : Lui avait-il, en effet, témoigné du dédain ? Non, c’était un sentiment de surprise, d’incrédulité peut-être… « Malheureuse Clara ! » retentit en lui de nouveau. Oui, malheureuse, dit-il enfin, c’est le mot qui s’applique le mieux à elle. Et si c’est ainsi, j’ai été injuste. Elle avait raison de dire que je ne l’avais pas comprise ! C’est dommage ! Une nature bien remarquable peut-être a passé si près de moi, et je n’en ai pas profité, je l’ai repoussée… Eh bien, après tout ! J’ai toute la vie devant moi, je ferai bien d’autres rencontres encore ! Mais pourquoi est-ce précisément moi qu’elle a choisi ?

Il jeta un regard dans le miroir devant lequel il passait.

— Qu’y a-t-il donc de si particulier en moi ? Je ne suis pas déjà si beau ! un visage comme tous les autres. Du reste, elle n’est pas belle non plus… Elle n’est pas belle… mais quel visage expressif ! immobile, mais expressif. Je n’en ai pas encore rencontré de semblable… et elle a aussi du talent, c’est-à-dire elle avait du talent, indubitablement. Un talent sauvage, non développé, mais rude, mais véritable. Et là aussi, j’ai été injuste envers elle.

Aratof se transporta par la pensée à la matinée musicale, et remarqua qu’il se rappelait très distinctement chaque parole parlée ou chantée par elle, chaque intonation. Cela n’aurait pas eu lieu si elle n’avait pas eu de talent.

— Et maintenant, tout cela est dans la tombe où elle s’est précipitée elle-même. Mais il n’y a pas de ma faute. Non, il serait ridicule de penser qu’il y a de ma faute. En supposant même qu’il y ait eu quelque chose de ma part, ma conduite pendant l’entrevue a dû la désillusionner complètement. C’est aussi pour cela qu’elle a eu ce rire cruel en me quittant. Et puis, quelles preuves y a-t-il qu’elle se soit empoisonnée par amour ? Il n’y a que les correspondants de journaux qui attribuent de pareilles morts à un amour malheureux. Aux personnes du