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— Tu l’as lu aussi dans un journal, ou bien peut-être es-tu allé toi-même à Kazan ?

— Je suis allé à Kazan, en effet ; la princesse et moi l’y avons accompagnée. Elle y a débuté avec grand succès. Seulement, je ne suis pas resté là jusqu’à la catastrophe ; je me trouvais à Jaroslaf.

— À Jaroslaf ?

— Oui, j’y avais accompagné la princesse ; c’est là qu’elle s’est établie à présent.

— Mais as-tu des nouvelles certaines ?

— Les plus certaines, de première main. À Kazan, j’ai fait la connaissance de toute sa famille. Mais… attends un peu, frère, il me semble que cette nouvelle t’agite singulièrement, et pourtant, autant qu’il me souvienne, Clara ne t’avait pas plu. Tu avais tort ; c’était une jeune fille extraordinaire, mais une tête… Oh ! une tête ! Sa mort m’a causé beaucoup de chagrin.

Aratof se laissa tomber sur une chaise, et, après un moment de silence, pria Kupfer de lui raconter…

Il hésita.

— Quoi donc ? demanda Kupfer.

— Mais… tout, répartit lentement Aratof, sur sa famille… sur elle… tout ce que tu sais.

— Cela t’intéresse donc bien ?

Et Kupfer, d’après le visage duquel on n’aurait pas dit qu’il eût tant de chagrin, commença son récit.

Le véritable nom de Clara Militch était Catherine Milovidof. Son père, mort depuis quelque temps, avait été maître de dessin au Gymnase de Kazan. Il peignait de méchants portraits et des images d’église, et passait pour un ivrogne et pour un tyran domestique. Il avait laissé après lui : 1o une veuve, de la caste des marchands, une femme sotte, absolument sotte, sortie tout droit des comédies d’Ostrofski ; et 2o une fille beaucoup plus âgée que Clara et qui ne lui ressemblait guère, une personne très intelligente, mais exaltée, maladive, une personne très remarquable, mon ami, et développée, très développée ! Elles vivaient toutes deux, mère et fille, convenablement, dans une assez gentille maisonnette, achetée du produit de ces mé-