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Kupfer, comme il fallait s’y attendre, fut introduit dans la maison. Il devint bientôt intime, trop intime, disaient les mauvaises langues. Quant à lui, il parlait toujours de la princesse, non seulement avec affection, mais avec respect. Il la traitait de femme d’or. Quoi qu’on en dît, il croyait fermement et à son amour de l’art et à son intelligence de l’art.

Voici qu’un jour, étant à dîner chez les Aratof, après avoir longuement causé de la princesse et de ses soirées, Kupfer se mit à tâcher de persuader Jacques de quitter, ne fût-ce que pour une fois, sa vie d’anachorète et de lui permettre de le présenter à sa chère amie. Jacques commença par ne rien vouloir entendre. « Mais que t’imagines-tu ? s’écria enfin Kupfer ; de quelle sorte de présentation s’agit-il ? Je te prendrai tout bonnement comme te voilà là, en redingote, et je te mènerai à l’une de ses soirées. Point d’étiquette chez elle, frère ! Tu es un savant, toi, tu aimes la littérature et la musique. (Dans le cabinet d’Aratof se trouvait en effet un pianino, sur lequel il prenait quelquefois des accords diminués.) Eh bien ! dans sa maison, il y a de tout cela, en veux-tu, en voilà ; tu y rencontreras aussi des gens sympathiques, sans prétention ! Et puis, enfin, il est impossible à ton âge et avec ton extérieur… (Aratof baissa les yeux et fit un mouvement de la main), oui, oui, avec ton extérieur, de fuir ainsi le monde, la société. Ce n’est pas chez des généraux que je te mène, d’autant plus que je ne connais pas moi-même de généraux. Ne fais pas l’obstiné, mon petit pigeon. La morale est une bonne et respectable chose, mais il ne faut pas la pousser jusqu’à l’ascétisme… Tu ne te prépares pas à devenir moine, n’est-ce pas ? »

Aratof pourtant continuait à faire l’obstiné ; mais à l’aide de Kupfer vint inopinément Platonida. Quoi qu’elle ne comprît pas bien ce que voulait dire ce mot « ascétisme », elle trouva aussi que son petit Jacques ferait bien de se distraire, et, comme on dit, de voir et se faire voir.

— D’autant plus, ajouta-t-elle, que j’ai la plus grande confiance en Féodor Féodovitch et il ne te mènera pas dans un endroit qui ne soit…

— Je vous le ramènerai dans toute son impeccabilité, s’écria