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elle n’avait pas les tendances égoïstes de Flaubert, bien qu’au fond elle ne fût pas si éloignée de partager quelques-unes de ses convictions. Toutes ses préférences étaient pour l’idéal dont elle avait le culte, mais elle était réaliste, si par réalisme, il faut entendre que tout est du ressort de l’artiste. La théorie du roman, chez elle pourrait se résumer ainsi : Idéaliser le sentiment qui fait le sujet de l’œuvre, mais laisser à l’auteur toute latitude de placer ce sujet dans des conditions et dans un cadre de réalité qui le feront ressortir. En un mot, se laisser enseigner par la vie et bien retenir « qu’il n’y a qu’une vérité dans l’art, le beau ; qu’une vérité dans la morale, le bien ; qu’une vérité dans la politique, le juste. »[1]

G. Sand, on est unanime à le reconnaître, a atteint la perfection littéraire dans ses livres champêtres[2]. En cette matière, elle est vraiment grande et ne saurait être surpassée : ses descriptions de l’Auvergne, de la Suisse, de la Savoie, de l’Italie, du Berry, sont des chefs-d’œuvre. Certaines de ses pages sont comme une explication des plus belles toiles de Millet ou de Rosa Bonheur. D’après M. d’Haussonville[3], l’action de G. Sand paysagiste se serait fait sentir dans le domaine de la peinture, et Dupré, Rousseau, Breton, Daubigny lui devraient beaucoup ; il y a, en effet, dans son paysage, de l’abondance et de la simplicité, de la vérité et de l’éclat. Elle a très bien saisi cette vague intuition de poésie chez les gens de campagne ; il n’y a qu’à lire son adorable paysannerie de La Petite Fadette et dans La Mare aux Diables, ce récit d’une nuit dans la forêt, et le portrait du laboureur aux champs. Elle peint avec une science toute féminine l’éveil délicieux des idées d’amour qui remplissent subitement le cœur de Germain, le paysan de vingt-huit ans, veuf, pour la petite Marie, âgée de seize ans. Elle rend avec un art charmant ce qu’ont d’impérieux, de profond, d’absolu, ces sentiments, chez les simples de cœur, incapables de subtiliser leurs impressions, mais qui sentent vivement quand même.

  1. Lettre à Flaubert, 2 fév. 1863.
  2. M. Brunetière regarde comme une injustice cette admiration unanime qui s’attache avec éclat à un très petit nombre d’œuvres d’un genre spécial, et semble faire l’ombre sur tant de romans très remarquables, bien que moins vantés et moins connus.
  3. G. Sand, par M. d’Haussonville.