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mais les traditions et les souvenirs de famille ont à ses yeux beaucoup de force, de poésie et d’utilité. Elle hait la bourgeoisie et les enrichis ; elle dresse un autel au peuple, à ceux qu’elle dit investis de la « dignité » d’artisan.

Pourquoi a-t-elle publié ce livre inquiétant de Mlle de la Quitinie. Ce n’est, certes, pas seulement pour dépeindre, de main d’ouvrier, les admirables paysages de la Savoie, le lac du Bourget, et ses bords sauvages. Elle a voulu réveiller surtout son vieux levain de haine contre le clergé, et faire une charge à fond sur « le joug du prêtre ». Elle avait cette utopie persistante d’une religion personnelle : elle nous l’expose dans un habile plaidoyer où le vrai et le faux se côtoient adroitement et laissent le lecteur comme incertain. Elle parle contre le célibat des prêtres, contre la confession, contre la croyance à l’enfer, et, trompée par l’exemple de Lamennais, elle développe dans de longues tirades ses théories sur les droits et les devoirs de la conscience. Mais ces discussions font péniblement sourire sur les lèvres de Mlle Quintinie, si pieuse, si mystique d’abord, qu’elle annonce son intention d’entrer au couvent, mais qui peu de semaines après se maria civilement.

G. Sand a disserté dans ses livres sur les instincts divers qui remuent le cœur de l’homme : l’amour, le doute, l’injustice des inégalités sociales, la philosophie, la passion, la politique : elle a discuté de nombreux problèmes psychologiques, mais en général la solution qu’elle leur donne n’est pas juste. Elle s’est bien définie, le jour où elle écrivait : « J’ai pressé mon imagination de produire sans m’inquiéter du concours de ma raison. Il se peut que j’aie le cœur fatigué, l’esprit abusé par une vie aventureuse et des idées fausses. »[1]

Elle manque aussi de sens critique il n’y a pas toujours d’unité dans l’ensemble de chaque œuvre : Quand elle commence le récit d’une intrigue, elle ignore elle-même où la conduiront ses personnages. « Je me rends peu compte de ce que je fais, dit-elle, et j’ai aujourd’hui, comme à quatre ans, un laisser-aller invincible dans ce genre de créations »[2]. Elle aime la « sinuosité » exagérée des

  1. Lettre d’un voyageur, L. IV, p. 101.
  2. Histoire de ma vie, T. IV, p. 90.