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Et si tous ces intérieurs n’offrent pas l’exemple du bonheur stable, c’est qu’ils reposent sur des situations fausses. G. Sand voulait imposer cette idée peu pratique dans la réalité, de la possibilité du mariage entre personnes qui ne sont ni du même rang ni de la même caste.[1] M. Nisard allait jusqu’à dire que la ruine des maris, ou tout au moins leur impopularité, tel avait été le but des ouvrages de G. Sand. Elle a pour théorie, sans doute, que le cœur d’aucun homme ne cache le trésor et la puissance de l’amour, que les femmes seules croient à ce divin sentiment et le poursuivent. Elle a même, un jour, écrit ces mots, qui étaient comme un ressouvenir de sa vie, et comme un anathème jeté à un homicide qu’elle connait « Il y a toujours dans la vie d’une femme un homme qui remplit l’horrible mission de tuer l’amour dans son cœur. »

Une fois l’heure de la tourmente morale passée, on peut dire de ses romans qu’ils étaient surtout des exagérations de plume et des vengeances de femme regrettant une situation fausse. En réalité, elle ne voulait pas être si nuisible qu’on le lui a reproché « Je n’ai cherché à détruire que des choses menteuses et impies : le faux amour, la fausse piété, le faux mariage, la fausse vertu »[2].

Certes, elle était indulgente pour les unions libres et renouvelées à fréquente échéance. Elle s’indigne peu dans Horace du milieu de grisettes où elle nous conduit. Mais il lui est arrivé de parler éloquemment et avec un respect ému de l’amour dans le mariage : elle a constaté qu’il est possible de vivre heureux et unis, de s’aimer assez pour supporter la vie, malgré ses épreuves, sans ressentir jamais ni satiété ni ennui. Sa conclusion de Jean de la Roche est une apologie de la toute puissance et de la douceur qui résident dans l’union consacrée de deux âmes.

Elle écrit souvent dans le but de prêcher et d’exposer des idées qui la préoccupent : ainsi dans le Piccinindo, elle donne libre cours à ses théories sur la noblesse. Elle la combat, et cependant elle l’aime ; elle considère la noblesse privilégiée comme une injustice,

  1. Voir les théories du mariage dans La Confession d’une jeune fille… En général les situations les plus osées n’effraient ni ne froissent G. Sand (ainsi, François le Champi).
  2. Lettre au docteur Guépdin, 1840.