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les paysages, quand plus tard, au couvent, elle allait à la recherche d’extases se blottir à la chapelle, « émue des profonds silences du soir, » curieuse de voir les belles religieuses prosternées dans leurs stalles, ou, lorsque seule en cachette, elle se glissait dans le petit cimetière, ombragé de grands arbres et tout parfumé de roses et de jasmins. Poëte encore, quand jeune fille, elle rêvait de longues heures, laissant à son cheval la bride sur le cou pendant qu’elle parcourait les bois et les champs qui environnaient Nohant. Du poëte, elle avait ce don léger et brillant de la fantaisie, Traviata disait un joli mot de la Grèce, qui nous représente tout un monde de fictions ailées et vaporeuses comme devait en faire éclore, dans l’imagination, ce soleil tant aimé dont les rayons doraient les coteaux de l’Attique. Elle avait une tendance à sacrifier l’idée à la passion et à s’abandonner sans prudence aux caprices et aux hardiesses puissantes de son imagination. Elle avait le don de l’enthousiasme qui dégénéra trop souvent en utopies et en déclamations, mais qui lui inspira d’admirables mouvements d’éloquence. Elle avait une sympathie ardente pour la nature. Elle était artiste. Toute musique la faisait vibrer, que ce fussent les étincelantes improvisations de Litzt les mélancolies splendides de Chopin où les compositions rustiques des joueurs de cornemuse et des pâtres de la Vallée-Noire. Les belles œuvres de peinture et de sculpture la charmaient également et nous savons que les merveilles de Delacroix, ou les « délicatesses vaporeuses » de Corot « avec leurs airs vagues de rêve l’impressionnaient[1].

Elle était poëte enfin par l’invincible besoin du rêve qui la dominait et lui faisait envisager la vie sous un prisme trompeur. Dès l’enfance, elle avait contracté l’habitude de la rêverie. Personne n’a plus rêvé et moins agi qu’elle. Henri Heine[2] qui la nomme également « une belle amazône littéraire » la croit notre plus grande poëte en prose il la trouve supérieure à Victor-Hugo. On la rapprocherait mieux de Lamartine pour l’inépuisable facilité avec laquelle ils écrivaient l’un en prose et l’autre en vers, mais tous deux

  1. On se demande, comment ainsi douée, elle resta insensible au charme, mélancolique sans doute, mais envahissant de la nature et de l’art à Rome.
  2. Lutèce.