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C’était une Directrice de conscience littéraire. On lui soumettait les cas embarrassants : on lui chuchotait une demande de conseils, et avec la condescendance et l’autorité bienveillantes du confesseur, elle répondait toujours. Pans un certain groupe, elle était investie d’une sorte d’infaillibilité morale. Elle connaissait le monde en effet, et se trouvait souvent à même de répondre. Elle savait que c’est une rude besogne, de prendre son cœur et de le faire obéir. Elle savait le prix dont toute joie s’achète : elle se rappelait que le plus sûr moyen d’arriver à la paix était d’abjurer tout bonheur personnel et d’accepter l’existence telle que Dieu l’a voulue pour chacun de nous. Il faut lire ses lettres au poëte Poncy, à Flaubert, à Madame Adam, dont l’intelligence ardente et séduisante l’avait charmée de suite, et à d’autres moins connus aussi, car elle ne rebutait personne. Dans une étrange manie de maternité, elle appelait tous ses interlocuteurs : mon cher enfant. Elle abuse toujours de ce mot unique. « Dans tous les sentiments, tous les amours de ma vie, il y a quelque chose de la passion maternelle, quelque chose de la passion protectrice qui nous fait croire que ceux qu’on aime nous appartiennent davantage. »[1]

Gambetta, très malmené par Mme Sand dans le Journal d’un Voyageur pendant la guerre, répliquait malicieusement « Si Mme Sand m’avait connu, je suis sûr que nous aurions été très vite bons amis ; nous étions faits pour nous entendre. Elle m’aurait bientôt appelé son fils.[2]

Elle prêche le travail et se donne en exemple « Pour faire un peu de miel, dit-elle imprudemment, il faut avoir sucré toutes les fleurs de la prairie. » Mais l’abeille qui va se griser au fond des calices fleuris, sait qu’il en est d’empoisonnés et les évite afin que son miel reste chose saine et savoureuse. Reprochons à G. Sand d’avoir goûté trop avidement à certains sucs empoisonnés qui ont souvent rendu son œuvre très dangereuse et très fausse.

Mme Sand fut poëte et femme, et ces deux qualités la résument. Elle était poëte déjà, quand petite enfant, elle regardait longuement

  1. ?? Lettre citée dans Mes Souvenirs par Henri Amic.
  2. Rapporté dans les Souvenirs par Henri Amic.