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et d’angoisse soit-elle, Mme Sand reste gaie avec ses enfants, elle se reprocherait d’arrêter ou d’assombrir la chanson joyeuse de sa chère couvée. « La vie est une suite de coups dans le cœur. Mais le devoir est là : il faut marcher et faire sa tâche sans contrister ceux qui souffrent avec nous »[1].

Il faut la juger en particulier dans sa correspondance avec son fils : la lettre suivante doit lui faire pardonner beaucoup de lignes injustes ou inutiles.

« Travaille, sois fort, sois fier, sois indépendant ; méprise les petites vexations attribuées à ton âge. Réserve ta force de résistance pour des actes et contre des faits qui en vaudront la peine. Ces temps viendront. Si je n’y suis plus, pense à moi qui ai souffert et travaille gai

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ement. Nous nous ressemblons d’âme et de visage. Je sais dès aujourd’hui quelle sera ta vie intellectuelle. Je crains pour toi bien des douleurs profondes ; j’espère pour toi des joies bien pures. Garde en toi le trésor de la bonté. Sache donner sans hésitation, perdre sans regret, acquérir sans lâcheté. Sache mettre dans ton cœur le bonheur de ceux que tu aimes à la place de celui qui te manquera. Garde l’espérance d’une autre vie : c’est là que les mères retrouveront leurs fils. Aime toutes les créatures de Dieu. Pardonne à celles qui sont disgraciées, résiste à celles qui sont indignes, dévoue-toi à celles qui sont grandes par la vertu. Aime-moi. Je t’apprendrais bien des choses si nous vivions ensemble, si nous ne sommes pas appelés à ce bonheur (le plus grand qui puisse m’arriver, le seul qui me fasse désirer une longue vie), tu prieras Dieu pour moi, et, du sein de la mort, s’il reste dans l’univers quelque chose de moi, l’ombre de ta mère veillera sur toi ».[2]

Elle chérissait tendrement son fils, l’ami le plus sûr, et le meilleur appui moral de sa vie très isolée et très désolée. Elle pensait tout haut avec lui elle lui parlait de leurs travaux différents, discutant les sujets, lui racontant toute son existence. Elle vécut le plus possible à ses côtés, et l’héroïne amère de 1833 se transforma peu à peu en une bonne et simple grand’mère. Elle aima avec passion

  1. Lettre à Flaubert, septembre 1875.
  2. Correspondance. Lettre du 18 juin 1833.