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Elle a noté dans des pages ravissantes ses émotions, ses impressions d’enfant ; elle redit ses plus lointains souvenirs : elle rappelle ses jeux, sa joie en voyant pour la première fois un fil de la Vierge, sa première émotion musicale en écoutant au loin les sons d’un flageolet, ses terreurs de petite fille, l’effet que lui fit la chanson :

    Nous n’irons plus aux bois
    Les lauriers sont coupés.

De suite, elle évoquait ce bois qu’elle avait rêvé merveilleux, comme un pays enchanteur et qui, tout d’un coup, lui apparaissait, jonché des lauriers dont il était dépouillé. Et à cet âge, elle ne connaissait, dit-elle, ni les bois, ni les lauriers.

Elle parlait encore du sentiment de la solitude qu’elle avait compris et aimé pour la première fois dans le vaste palais de Madrid où siégeait Murat, pendant qu’elle s’amusait dans les grands salons déserts avec les joujoux délaissés des Infants. Elle arrivait ainsi à exalter en elle une sensibilité qui deviendrait plus tard un défaut et une qualité de sa vie, puisque l’homme vaut surtout par sa puissance de souffrir et de sentir. Toute enfant, elle récitait ses prières sans nulle attention, sans rien comprendre que ces seuls mots : Mon Dieu ! je vous donne mon cœur ! Que de fois, depuis, elle donna ce pauvre cœur à d’autres qu’à Dieu.

Chez Aurore, enfant, les jeux étaient de vraies hallucinations : elle incarnait les histoires qu’elle se plaisait à imaginer : elle s’est délectée des contes de fée, des contes de Mme d’Aulnay et d’une vieille édition de Perrault ; la poésie de la mythologie la charmait. Elle détestait Berquin et appréciait Mme de Genlis, « cette bonne dame qu’on a trop oubliée ». Elle a prétendu un jour qu’elle devait peut-être ses premiers instincts socialistes à Mme de Genlis dont le roman des Battuécas l’avait impressionnée. L’institutrice et l’amie de Louis-Philippe eût été surprise et confuse d’un tel aveu. George Sand se comprit mieux le jour où elle reconnut que tous ses instincts lui étaient venus de sa naissance « à cheval » entre deux classes, des contrastes de sa vie d’enfant, de son éducation tourmentée entre sa grand’mère, la vieille femme aux préjugés de noblesse imbue de philosophie, grande dame, et sa mère, la femme