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suspendre, mais que je compte reprendre aujourd’hui en les développant davantage.

Mes premières expériences sur la locomotion étaient faites au moyen de la chronographie ; elles traduisaient fidèlement les rythmes des allures de l’homme et des animaux, c’est-à-dire l’instant et la durée des appuis de chaque membre sur le sol. Plus tard, par une méthode déjà plus délicate, j’inscrivais les phases d’élévation et d’abaissement des ailes d’un oiseau qui vole, la trajectoire décrite dans l’espace par la pointe de l’aile, les changements du plan alaire, les oscillations du corps dans leurs rapports avec les mouvements du vol[1].

Les renseignements donnés par la méthode graphique étaient d’une grande précision ; ils corrigeaient bien des erreurs d’observation et résolvaient certaines questions litigieuses de mécanique animale ; mais les notions fournies par cette méthode étaient encore incomplètes. Ainsi, en ce qui concerne les allures du cheval, j’ai essayé de faire représenter les attitudes de cet animal à différents instants du pas de chaque allure ; or, les figures faites d’après les données de la chronographie, parfaitement correcte pour la position des membres à l’appui, présentaient parfois des incorrections pour celle des membres au levé. J’en eus la preuve lorsque parurent les belles photographies instantanées de M. Muybridge, de San Francisco. L’image d’un cheval saisie en 1/500 de seconde donnant, même aux allures les plus rapides, l’attitude réelle de l’animal presque aussi nettement que s’il eût été immobile.

Le journal la Nature venait de publier quelques-unes des figures de M. Muybridge ; je m’empressai d’écrire au rédacteur en chef, mon ami G. Tissandier, pour lui exprimer mon admiration pour ces belles expériences et pour le prier d’engager leur auteur à appliquer la photographie instantanée à l’étude du vol des oiseaux. J’émettais alors l’idée d’un fusil photographique à répétition analogue au revolver astronomique imaginé par mon confrère M. Janssen pour observer le dernier passage de Vénus. Ce fusil donnerait une série d’images successives prises à différents instants de la révolution de l’aile. Enfin, ces images, disposées sur un phénakistiscope de Plateau, devrait reproduire l’apparence du mouvement des animaux ainsi représentés.

Cette lettre me valut, de la part de M. Muybridge, l’envoi d’une collection de ses belles photographies et l’assurance qu’il appliquerait ses appareils à l’étude du mécanisme du vol ; en outre, différents auteurs adaptèrent à des zootropes, soit des figures construites d’après mes notations chronographiques, soit des images obtenues par le célèbre photographe américain, et obtinrent ainsi une représentation saisissante d’animaux en mouvement[2].

Au mois de septembre dernier, M. Muybridge vint à Paris apportant une riche collection de photographies instantanées qui représentaient non seulement le cheval à diverses allures, mais l’homme se livrant à différents exercices : la course, le saut, l’escrime, la lutte, etc. Dans la collection de M. Muybridge il y avait aussi quelques photographies d’oiseaux au vol, mais ce n’était plus comme pour l’homme ou le cheval, le représentation d’attitudes successives : c’étaient des images analogues à celles que M. Cailleret avait obtenues quelques années auparavant et montrant les ailes de l’oiseau tantôt dans une position unique, tantôt en élévation, tantôt en abaissement ou dans quelque phase intermédiaire. Ces photographies étaient cependant fort intéressantes : elles vérifiaient ce que la méthode graphique m’avait fait saisir relativement au mécanisme du vol, mais surtout promettaient des renseignements précieux, si l’on pouvait obtenir ces images en série, comme M. Muybridge l’avait fait pour l’homme et pour les quadrupèdes.

Je résolus de consacrer cet hiver à réaliser mon ancien projet de fusil photographique. Le procédé au gélatino-bromure d’argent me faisait espérer des images assez nettes avec un temps de pose très court, mais la vitesse avec laquelle devaient se répéter les mouvements qui présentaient au foyer de l’objectif des points différents de la plaque sensible entraînait certaines difficultés dans la construction de l’instrument. Il fallait, en effet, recueillir au moins dix ou douze images par seconde, afin d’avoir plusieurs attitudes de l’oiseau à chaque révolution de son aile. En outre, cette vitesse m’était imposée par le projet que j’avais formé de disposer dans un phénakistiscope la série d’images obtenues, afin de reproduire l’apparence des mouvements du vol de l’oiseau ; or on sait que la faible durée de la persistance des images sur la rétine nécessite une répétition fréquente des apparitions lumineuses pour donner à notre œil une sensation continue.
Fig. 1. Mode d’emploi du fusil photographique
Je réussis à construire, dans les dimensions d’un fusil de chasse, un appareil qui photographie douze fois par seconde l’objet que l’on vise ; chaque image n’exigeant, comme temps de pose, que 1/720 de seconde (fig. 1).

Le canon de ce fusil est un tube qui contient un objectif photographique. En arrière, et solidement montée sur la crosse, est une large culasse cylindrique dans laquelle est contenu un rouage d’horlogerie dont le barillet se voit extérieurement en B (fig. 2, no1). Quand on presse la détente du fusil, le rouage se met en marche et imprime aux différentes pièces de l’instrument le mouvement nécessaire. Un axe central, qui fait douze tours par seconde, commande toutes les pièces de l’appareil. C’est d’abord un disque de métal opaque et percé

  1. La Machine animale, 1re édition, 1873.
  2. Parmi les auteurs qui ont réalisé des zootropes avec les photographies instantanées, on doit citer M. Muybridge lui-même ; en France, M. Mathias Duval, professeur d’anatomie à l’École des Beaux-Arts, et le colonel Duhousset ; en Hongrie, M. Ziekly, également professeur à l’École des Beaux-Arts ; enfin, en Angleterre, plusieurs industriels vendaient, l’an dernier, des zootropes formés avec les figures que M. Muybridge a publiées.