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nique depuis moins de cinquante ans sont bien faites, en effet, pour encourager cette espérance. On croyait au début de ce siècle que toute une catégorie de substances dites organiques ne pouvaient prendre naissance que dans les tissus des animaux et des végétaux. Presque toutes ont été obtenues depuis artificiellement et chaque jour des progrès nouveaux sont accomplis dans la voie qu’a si largement tracée l’éminent chimiste, M. Berthelot. À la vérité, les substances les plus voisines du protoplasma, les substances azotées analogues au blanc d’œuf et dites pour cela substances albuminoïdes, résistent encore ; mais tout fait croire que ce ne sera pas pour longtemps.

Beaucoup de substances organiques possèdent même, à l’état liquide ou lorsqu’elles sont dissoutes, une propriété singulière qui ne se trouve chez les substances minérales que lorsqu’elles sont cristallisées, c’est la propriété d’agir sur la lumière polarisée en faisant tourner son plan de polarisation. On a jamais réussi à obtenir de telles substances dans les laboratoires, mais on a obtenu des substances qui s’en rapprochent beaucoup et si cette propriété singulière, ne tient pas comme cela pourrait être, suivant M. Pasteur, à la façon même dont la lumière du soleil arrive sur les végétaux, il n’est peut-être pas téméraire d’espérer que les chimistes sauront un jour fabriquer artificiellement des substances organiques douées de cette propriété que l’on nomme le pouvoir rotatoire.

La puissance des chimistes est donc fort grande. Mais voyons-nous dans ses œuvres rien qui puisse autoriser à penser qu’elle soit assez grande pour créer la substance vivante elle-même ? Il n’y paraît pas.

Dans tout ce que les chimistes ont obtenu jusqu’à ce jour, nous voyons bien des produits de la vie, mais non la vie elle-même. Les substances albuminoïdes, le blanc d’œuf, sont aptes à entretenir la vie, ils ne vivent pas par eux mêmes. Eut-on réussi à les fabriquer artificiellement, on n’aurait pas créé la vie pour cela. On aurait seulement démontré que tous les composés chimiques, que la vie est apte à réaliser, peuvent être produits par les forces physico-chimiques. On pourrait peut-être en conclure que la vie n’est qu’une combinaison particulière de ces forces ; mais le mystère de cette combinaison n’en demeurerait pas moins tout entier.

Il y a, d’ailleurs, entre le protoplasma et les composés chimiques des différences fondamentales qu’il est facile d établir.

Demandez à un chimiste la définition d’un composé défini quelconque, il vous répondra tout d’abord par sa composition chimique, composition qui le caractérise d’une manière absolue. Cherchez maintenant à appliquer cette définition au protoplasma, cela est totalement impossible. La composition chimique de cette singulière substance est éminemment variable non pas seulement suivant que l’on considère tel ou tel animal, tel ou tel végétal, mais encore suivant que l’on s’adresse à telle ou telle partie d’un même animal ou d’un même végétal.

Il y a plus — et c’est là l’essence même du protoplasma — c’est qu’un même grumeau de ce corps étrange n’est que bien rarement identique à lui-même, fut-ce pendant un temps très court. Toute substance qui vit, se nourrit, c’est-à-dire qu’elle s’assimile des substances étrangères qui lui permettent d’accroître sa masse, mais changent à mesure qu’elles se dissolvent sa composition chimique : elle est donc perpétuellement en voie de transformation et c’est là une différence qui sépare profondément le protoplasma de tout composé chimique dans lequel on ne saurait modifier les proportions des éléments constituants sans le faire disparaître par cela même.

Le Protoplasma agit sur les substances qui l’entoure en se les incorporant, il augmente sa masse par cette action, il modifie sa composition chimique, mais les propriétés fondamentales, les propriétés en quelque sortes vitales qui le caractérisent, demeurent identiquement les mêmes ; les composés chimiques n’agissent guère, au contraire, sur les substances qui les touchent qu’en se décomposant eux-mêmes.

Il y a donc antithèse, opposition absolue entre la substance vivante fondamentale et les composés chimiques ordinaires. Tout ce que nous avons appris sur ces derniers ne diminue en rien l’ombre épaisse qui enveloppe l’origine de la première et cette proposition est rendue plus évidente encore lorsque l’on pénètre plus avant dans l’étude des propriétés du protoplasma.

En somme, les êtres uniquement composés de cette gelée primordiale, les êtres formés d’une substance unique, homogène, sont encore assez peu nombreux ; mais il en existe une foule d’autres à peine plus compliqués et qui vivent en quantités immenses dans toutes les parties du globe, aussi bien dans la terre humide que dans l’eau douce et que dans les profondeurs les plus grandes de l’Océan.

Je ne parle pas de ces légions de Bactéries, de Vibrions, de Spirillums, de Mycodermes, corpuscules microscopiques à demi solides, qui semblent chargés de rendre au monde minéral les êtres organisés frappés de mort, et dont l’étude a été faite d’une façon si brillante par M. Pasteur ; je laisse également de côté ces redoutables Micrococcus, agents des plus graves maladies, telles que l’infection purulente, la variole, le croup. Par leur simplicité absolue, tous ces êtres sont encore de véritables Monères qui ne se distinguent de celles que nous connaissons déjà, que par leur extrême petitesse et par l’immobilité de leur forme.

Il n’en est pas de même des êtres que les naturalistes désignent sous le nom de Rhizopodes et qui ressemblent aux Monères par leur faculté d’émettre des prolongements protoplasmiques, des pseudopodes, mais qui s’en éloignent par l’apparition au sein de leur substance de productions nouvelles.