Page:La Nature, 1879, S1.djvu/214

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce nom vaut évidemment celui de protoplasma et il pourra nous arriver de l’employer à son lieu et place.

Dujardin avait étudié le sarcode chez les Infusoires ; mais ces êtres microscopiques sont extrêmement compliqués relativement à ceux dont je voudrais vous parler aujourd’hui et dont l’existence nous a été révélée par l’ardent zoologiste d’Iéna, le professeur Hæckel, qui les désigne, à cause de leur extrême simplicité, sous le nom de Monères[1].

La première Monère est une toute nouvelle venue dans la science. C’est seulement en 1864 qu’elle fut observée à Villefranche, près de Nice, par Hæckel. C’est une sorte de sphère gélatineuse dont l’homogénéité n’est troublée que par la présence, dans sa masse, de quelques gouttelettes plus pâles : sa surface entière est hérissée de grêles filaments, rayonnant de toutes parts qui peuvent s’allonger ou se contracter de toutes les façons possibles.

Ils peuvent même rentrer complètement dans la masse générale et y disparaître en entier pour être presque aussitôt remplacés par d’autres : leur existence est donc tout à fait temporaire. C’est, en effet, la gelée vivante elle-même, le protoplasme, qui s’étire ainsi à sa surface pour produire ces espèces de pieds, ces pseudopodes qui lui servent à la fois à ramper, à saisir les aliments et même à les digérer. Qu’un Infusoire, un petit Crustacé vienne à frôler l’un des pseudopodes de notre Monère, il est aussitôt arrêté au passage et comme paralysé. Les pseudopodes ne tardent pas à l’envelopper de leur réseau gélatineux. Un mouvement insensible transporte la proie jusque dans la sphère centrale où elle semble se dissoudre complètement. Les parties qui résistent à cette action dissolvante sont repoussées au dehors par un mouvement analogue à celui qui les avait conduites dans la sphère de sarcode. Celle ci grandit assez rapidement. Lorsqu’elle a atteint une certaine taille, elle s’allonge, puis s’étrangle dans sa région moyenne et se partage bientôt en deux sphères à peu près égales qui continuent, chacune pour son compte, l’exercice des mêmes fonctions.

C’est bien là la vie sous la forme la plus simple que l’on puisse concevoir ; toutes les fonctions exercées par une substance unique homogène ; la reproduction, simple conséquence de l’accroissement, consistant dans le partage en deux moitiés égales d’une masse primitivement unique. Aussi Hæckel n’a-t-il pas hésité à voir dans sa Monère de Villefranche un représentant des premières formes vivantes telles qu’elles ont dû, suivant lui, apparaître spontanément sur le globe : de là le nom de Protogènes primordialis qu’il a donné à cet être singulier.

Il est à noter cependant que la Protogènes est déjà un type assez nettement défini. Si sa forme sphérique relève des lois de la mécanique, il n’en est pas de même de celle de ses pseudopodes ; de plus sa taille est également déterminée, elle ne dépasse guère 1 millimètre de diamètre. Dès que cette taille est atteinte, la division de la sphère en deux autres se produit. La Protogènes n’est donc pas un être absolument amorphe, comme on se plairait à concevoir la première substance vivante.

Une autre monère, la Protamœba primitiva, plus simple encore que la Protogènes, ne réalise pas davantage cette condition. À la vérité sa forme est absolument indéfinie : ses contours changent à chaque instant sans s’arrêter jamais, sa masse se découpe de mille façons, en lobes arrondis plus ou moins distincts et qui ne s’étirent jamais en filaments comme les pseudopodes de la Protogènes. Les Protamœba semblent ainsi une gouttelette graisseuse qui coule sur le porte-objet du microscope ; mais eux non plus ne dépassent pas une certaine taille ; quand ils ont atteint quelques centièmes de millimètres, ils se partagent par le travers, comme les Protogènes : chaque individu en fournit ainsi deux autres. La Protomœba primitiva a été également découverte par Hæckel (fig. 1).

On a cru un moment avoir rencontré dans les profondeurs de l’Océan, jusqu’à 25 000 pieds au-dessous du niveau de la mer, une Monère plus simple encore que les précédentes, en ce sens qu’elle est absolument amorphe et ne semble pas posséder une individualité analogue à celle que la reproduction par scission semble indiquer. L’éminent anatomiste anglais Huxley avait cru voir, dans les produits des dragages du navire anglais le Porcupine, des masses protoplasmiques réticulées auxquelles il avait donné, en 1868, le nom de Bathybius Hœckeli. Le Bathybius grandirait constamment sans avoir besoin de se segmenter ; il serait constamment en voie de formation et de développement au sein des mers, tapissant le fond de l’Océan d’une couche vivante d’étendue indéfinie, héritière peut-être du limon animé d’où tous les êtres seraient sortis, mère des faunes et des flores de l’avenir. Malheureusement l’existence du Bathybius a été vigoureusement contestée par divers savants ; ce ne serait, suivant eux, qu’un précipité gélatineux de sulfate de chaux produit dans l’eau de mer par l’alcool concentré.

Hseckel maintient pourtant la réalité de cet être mystérieux et quelques découvertes récentes semblent, sinon lui donner raison, démontrer tout au moins qu’il existe bien certainement des masses vivantes analogues à celles décrites par Huxley. Dans les mers polaires, Bessel a recueilli des masses protoplasmiques qu’il a pu observer à l’état frais et qui lui ont montré « de magnifiques mouvements amiboïdes. » Ces masses ne diffèrent du Bathybius que parce qu’elles ne contiennent pas les concrétions calcaires que renferme ce dernier et que l’on a désignées sous les noms de coccolites, de discolites ou de cyatholites : elles offrent une circulation protoplasmique parfaitement nette. Si donc l’on met en

  1. De μονος, seul, qui n’est formé que d’une seule substance.