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tante de la journée, par suite d’un mauvais temps momentané.

L’aérostat de M. Henry Giffard a accompli 1 000 ascensions, qui représentent un parcours vertical de 1 000 kilomètres, aller et retour, soit 1 million de mètres. Ce trajet est équivalent, en comptant 25 tonnes de poids enlevé par ascension, à un travail total de 25 milliards de kilogrammètres.

Le nombre des voyageurs qui se sont élevés dans les airs est de 35 000, soit en prenant une moyenne de 65 kilogrammes par voyageur, un poids de plus de 2 millions de kilogrammes.

Le poids du charbon brûlé dans les chaudières pour produire ce travail mécanique a été de 150 000 kilogrammes.

La recette totale pendant la durée de l’exploitation s’est élevée à 839 555 francs ; le nombre des médailles commémoratives distribuées aux voyageurs a été de 35 000 et représente une dépense de 44 000 francs. Le nombre des billets de faveur distribués à la presse, aux savants, à l’administration, etc., a dépassé 5 000. Pendant une seule journée, le 2 octobre, le ballon captif a exécuté vingt-quatre ascensions consécutives et enlevé, en sept heures de temps, plus de 900 voyageurs ; le chiffre total de la recette a atteint ce jour-là 22 000 francs.

Vingt-cinq ballons libres ont été gonflés dans l’enceinte pendant la durée de l’exploitation. L’appareil à gaz de M. Henry Giffard a toujours fonctionné avec une précision et une régularité des plus remarquables. Ces aérostats de 200 à 350 mètres cubes se sont élevés simultanément au nombre de deux et de trois ; ils ont fourni des indications précieuses sur le régime des vents dans les régions élevées de l’atmosphère, et ont offert au public un spectacle aussi intéressant que nouveau. Le dimanche 20 octobre, où le ballon l’Éole était monté par M. Duruof, l’Aquilon par M. Gratien, et le Zéphyr par M. Petit, on a constaté dans l’enceinte de la cour des Tuileries la présence de plus de 8 000 spectateurs

Les ballons de comparaison, élevés simultanément, ont toujours atterri dans le voisinage de Paris, quelquefois à une distance de 1 kilomètre environ l’un de l’autre, quelquefois au même point, comme cela a eu lieu le dimanche 3 novembre, où les trois aérostats lancés n’ont pas cessé de naviguer côte à côte au sein de l’air.

Pendant toute la durée de l’exploitation, il n’y a pas eu à signaler le moindre accident ; les précautions prises étaient si minutieuses que la nacelle du ballon captif offrait une sécurité parfaite. Le public parisien et les étrangers venus à Paris pendant l’Exposition ont du reste rendu un grand hommage de confiance à l’égard de cette merveille de la mécanique moderne. Le ballon captif a offert le spectacle du panorama de Paris aux représentants de toutes les nationalités du monde ; on a remarqué parmi les voyageurs, la plupart des délégués de la Chine et du Japon à l’Exposition universelle, des princes indiens et birmans, des grands personnages du royaume de Cambodge, des chefs arabes, un nombre considérable d’Anglais, d’Américains, d’Allemands, de Russes, d’Espagnols et d’Italiens.

Le prince et la princesse de Galles, le prince et la princesse de Danemark, M. Léon Say, ministre des finances ; M. l’amiral Pothuau, ministre de la marine ; M. Albert Gigot, préfet de police ; M. le général d’Abzac, et la plupart des officiers de la maison militaire de M. le président de la République ; M. le général de Miribel, chef d’état-major du ministre de la guerre, un grand nombre de députés et de sénateurs, de membres de l’Institut, les sommités de la science, de l’art et de la littérature, ont passé tour à tour dans la nacelle du ballon captif de M. Giffard.

Quant au nombre de ceux que la modicité de leur bourse retenait au rivage, il est incalculable, et si, comme nous l’espérons, M. Henry Giffard construit l’année prochaine un aérostat plus puissant, capable d’enlever à la fois une plus grande quantité de voyageurs à un prix moindre, tout Paris voudra goûter le charme du voyage aérien.

Le succès que le ballon captif a obtenu a été si grand que ce matériel peut être considéré comme une création importante, véritable complément des monuments d’une grande ville. C’est un monument en effet que ce dôme aérostatique, qui, fixé au sol, atteint la hauteur des plus grands édifices, et qui, bercé dans les airs, dépasse de dix fois l’élévation des plus grandes coupoles du monde. Il offre à tous une jouissance nouvelle, sensation charmante qui consiste à s’élever dans l’espace, à quitter l’air étouffé des rues pour aller respirer la brise fraîche, vivifiante des hautes régions, et admirer le plus grand spectacle qu’il soit donné à l’homme de contempler.

Le ballon captif apporte à la science la solution de problèmes d’une haute importance : conservation presque indéfinie de l’hydrogène dans une étoffe imperméable, préparation en grand de ce gaz qui est l’âme de l’aérostation, construction nouvelle de tous les éléments du ballon qui permettent désormais d’entreprendre la construction de véritables navires aériens. Tandis que les merveilles modernes de l’art de l’ingénieur, tels que les grands ponts métalliques, les grands navires à vapeur, ont été conçus graduellement et pas à pas, à la suite des efforts successifs d’un grand nombre de constructeurs différents, le ballon captif de la cour des Tuileries qui ne le cède en rien, comme difficultés vaincues, à ces monuments de la science, est apparu tout à coup ; il est sorti tout d’une pièce du cerveau de son inventeur. Les éloges que nous avons exprimés à l’égard de cette grande construction, alors même qu’elle était en voie de production, pouvaient être il y a quelques mois, considérés comme exagérés ; ils sont consacrés aujourd’hui par l’opinion de tous les savants et du public tout entier.

Gaston Tissandier.