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encore diminué ; on peut dire pourtant que leur fréquence est déjà moindre ; ils commencent à s’éloigner du bord des eaux, de la ceinture immédiate des lacs et du fond des vallées intérieures, où d’autres arbres, d’un aspect moins méridional, à feuillage touffu, et même des essences à feuilles caduques s’introduisent et se multiplient. Les Palmiers européens de cette époque recherchent de préférence les stations chaudes et abritées ; ils ne sont précisément exclus d’aucun endroit ; seulement il est bien des points où ils deviennent rares, leur existence ne s’y trahissant que par quelques débris fort clairsemés. Cette longue exode des palmiers européens s’achèvera beaucoup plus tard ; elle débute à peine maintenant par leur cantonnement sur des points déterminés, qui répond à leur élimination partielle sur d’autres ; le climat conserve sa chaleur, mais il devient graduellement plus humide et plus tempéré.

Aux Sabals, déjà mentionnés, et dont le Sabal major Ung. est toujours le type, viennent se joindre des Flabellaria (Fl. Rüminiana Hr., Fl. latiloba Hr.) ; auprès d’eux les Phœnicites speclabilis Ung. et Palavicini E. Sism., ce dernier de Cadibona, représentent le type de nos dattiers. D’autres espèces rencontrées çà et là sur le même horizon paraissent avoir appartenu soit aux Chamœrops (Ch. Helvetica Hr.), soit au groupe des Géonomées (Ceonoma Steigeri Hr., Manicaria formosa Hr.), soit à celui des Calatnées ou Palmier-Rotang (Calamopsis Sp., Palacospathe dœmonorops Hr.).

Les croquis figurés ci-contre (fig. 2 et 5) reproduisent l’aspect et le port approximatif des principaux palmiers aquitaniens ; ils sont empruntés eu partie au bel ouvrage de M. Hecr sur la Suisse primitive (p. 380), en partie à la flore tertiaire de Piémont de Sismonda.

Les Conifères, d’un effet si puissant dans le paysage, sont toujours celles dont j’ai signalé l’introduction dans l’oligocène ; seulement, les Séquoia et, parmi eux, les S. Couttsiæ Hr., Tournalii Sap. et Langsdorfii Hr. tendent à prédominer. Il s’y joint le Glyptostrobus europæus Hr. (fig. 4) et le Taxodium distichum miocenicum : le premier de ces deux types, sous une apparence à peine changée, habite maintenant la Chine ; le second se retrouve dans les États-Unis et le Mexique. Quant aux Seguoia, on sait que les deux seules espèces de ce genre, que la nature actuelle ait conservées, sont confinées sur les pentes fraîches et exposées aux averses du Pacifique des montagnes californiennes. Le S. Sternbergii, que j’ai signalé comme caractérisant l’oligocène, devient par contre de plus en plus rare et disparaît finalement sans laisser de descendance, Les pins sont bien moins communs dans l’aquitanien que dans l’âge précédent ; il en est de même des Callitris et des Widdringtonia ; ils se montrent moins fréquemment et sont absents ou du moins exceptionnels dans certaines régions, comme la Suisse. Ces types, dépossédés peu à peu, finirent par quitter l’Europe ; c’est en Afrique seulement qu’on les observe de nos jours.

En revanche, certains groupes, pauvres et clairsemés jusqu’alors, favorisés sans doute par la douceur et l’humidité croissantes du climat, par la multiplication des stations fraîches et l’extension des nappes lacustres, sortent maintenant de l’obscurité ; soit qu’ils arrivent des environs du pôle, soit qu’ils descendent des montagnes, ils viennent occuper, au sein de la végétation, une place dont l’importance est destinée à grandir, à raison même du progrès constant des circonstances auxquelles cette importance est due en premier lieu. Je nommerai surtout les aunes et les bouleaux, les charmes et les hêtres, les peupliers et les saules, les frênes et les érables, c’est-à-dire tout un ensemble de types à feuilles caduques, indices de l’influence d’une saison froide ou du moins fraîche relativement, et qui désormais tiendront un rang déterminé dans la flore, sans y prédominer cependant encore. Plusieurs de ces espèces ressemblent tellement à des formes actuellement vivantes, indigènes ou exotiques, qu’il est difficile de se refuser à admettre l’existence d’un lien de filiation rattachant celles-ci aux premières. Nous verrons bientôt les faits de ce genre se multiplier ; il suffit d’en signaler maintenant les premiers exemples.

Le Fagus pristina Sap., qui se montre à Manosque (fig. 5, nos 3 et 7), ne diffère pas ou presque pas du hêtre actuel d’Amérique, F. ferruginea Michx. Le Carpinus Ungeri Ett., de la même localité, dont les involucres fructifères (fig. 5, nos 1 et 3) n’ont été observés par moi que tout dernièrement, rappelle beaucoup aussi le charme de Virginie, C. Virginiana Michx.

L’Alnus sporadum Ung., de Coumi (Eubée) (fig.6), se confond presque avec l’A. subcordata C. A. Mey., de l’Asie Mineure, tout en manifestant de l’affinité avec l’A. orientalis Dne, de Syrie. La flore de Manosque, de son côté, comprend une forme d’Alnus, alliée de très-près à la précédente, A. phocœensis Sap. (fig. 6), mais qui se rapprocherait davantage de l’A. orientalis que l’aûne caucasien, A. subcordata. Ce sont là des oscillations qui marquent seulement l’existence des vicissitudes innombrables qu’ont subies jadis les espèces en traversant les âges, pour arriver enfin jusqu’à nous.

L’érable miocène par excellence, l’Acer trilobatum, qui commence alors à paraître, a des liens évidents, selon M. Heer, avec l’A. rubrum L. d’Amérique, dont il est cependant séparé par de faibles nuances différentielles, faciles à saisir. L’A. decipiens Hr., l’A. recognitum Sap., de Manosque (fig. 7), commencent au contraire une double série dont les termes enchaînés viennent aboutir à deux types d’érables encore aujourd’hui européens, celui de l’A. monspessulanum et celui de l’A. opulifolium. Il ne faudrait pas croire que la végétation européenne eût dès lors revêtu une physionomie analogue à celle quelle présente de nos jours, même dans les parties les plus australes du continent. En négligeant, si l’on veut, les détails et les exceptions,