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sortes d’annales ; la végétation s’est modifiée lentement et graduellement à travers les âges ; elle s’est enrichie et complétée peu à peu ; d’autre part, elle a perdu, en se complétant, des types qu’elle possédait originairement, pendant que se déroulait la durée immense des périodes successives. La végétation est maintenant plus complexe, plus variée qu’elle ne l’était dans les époques primitives, mais elle ne comprend plus depuis longtemps la plupart des végétaux, simples de structure, grandioses de stature, originaux d’aspect, qui lui servaient alors d’ornement ; leurs descendants amoindris, ceux du moins qui les représentent dans la nature vivante, sont réduits à n’être plus que des herbes humbles et subordonnées ou bien si l’on en rencontre encore quelques exemples, ce ne sont que des exceptions et des singularités, perdues au milieu de la foule de nos végétaux modernes, plus parfaits comme organisation, doués d’un tempérament plus robuste et en tout moins exigeants que ceux des premiers temps.

On a souvent parlé des cryptogames et des gymnospermes, des prèles, des fougères, des lépidodendrées, des sigillariées et dernièrement des cordaïtées de l’époque des houilles ; on a également décrit à bien des reprises les cycadées, les conifères et les fougères des temps secondaires. Mais ou a plus rarement insisté, pour la répandre et la vulgariser, sur la physionomie revêtue par la végétation dans un âge moins reculé, je veux parler de l’âge tertiaire, c’est-à-dire d’un temps où la flore se composait à peu près des mêmes éléments que de nos jours, où les arbres et les plantes, sur le penchant des montagnes, dans les plaines, dans le fond des vallées ou sur le bord des eaux se trouvaient combinés comme maintenant, mais où l’Europe cependant était loin encore de ressembler à ce qu’elle est devenue, puisqu’elle gardait un climat relativement chaud et que longtemps elle posséda des palmiers jusqu’au delà du 55e degré de latitude nord.

Dans un court et modeste article je ne saurais avoir la prétention de tout dire ni de tout expliquer. Il me faut bien élaguer et choisir, tellement la moisson des faits est immense ; je veux examiner quelques-uns d’entre eux, parmi les plus saillants et les moins obscurs. Dans ce que je dirai, le lecteur trouvera certainement des traits qu’il ne soupçonne pas, des détails qui l’étonneront, des phénomènes à peine entrevus par les hardis pionniers de la science : c’est que la botanique fossile, loin d’être enfermée dans un cadre immuable, l’agrandit et le déplace chaque jour. Elle voit ses aspects varier, ses perspectives s’étendre, ses horizons s’écarter pour en découvrir d’autres plus éloignés, destinés à fuir à leur tour un peu plus tard. Celte science mobile obéit à l’éternel devenir du philosophe Hegel ; elle est en train de se faire ; mais, tout en cheminant avec elle et sans chercher à l’arrêter, ceux qui s’intéressent à ses progrès peuvent en résumer l’enchaînement et la portée. C’est bien ce que je voudrais essayer, n’ignorant pas combien il est difficile d’effleurer tant de choses, en m’efforçant de n’être pas trop technique. Il faut bien, malgré mon désir d’éviter les développements, procéder par ordre et poser les termes de la question, avant d’en aborder les détails. — L’époque tertiaire, dans laquelle je vais me renfermer, a succédé à celle de la craie, dernier terme de la série secondaire. Celle-ci comprend trois grandes divisions, le trias, le jura et la craie ; le jura se partage en deux divisions : le lias et l’oolithe, subdivisés eux-mêmes en un certain nombre d’étages. La craie a été également sectionnée en étages ; je ne les mentionnerai pas ici et j’ajouterai que cette mention serait inutile. Dès que l’on se propose uniquement de suivre la marche et de décrire les manifestations de la vie, il ne faut pas attacher à ces noms d’étages et de terrains une signification trop absolue, comme s’ils répondaient vraiment à des barrières entre lesquelles les divers êtres ou collections d’être auraient été parqués de manière à ne pouvoir les franchir. En réalité, ce sont là des chapitres de l’histoire du globe, des périodes plus ou moins habilement limitées par le génie parfois heureux, souvent étroit, et systématique, de l’homme, à qui il faut des sections, des lignes divisoires, des commencements et des tins ; tandis qu’en dehors de lui, sous le regard de l’infini, la nature marche librement, à pas inégaux, sans entraves, continuant sou œuvre, poussant la vie dans le labyrinthe des sentiers multiples où elle s’engage insouciante, se faisant un jeu des catastrophes partielles, avançant toujours vers le terme qui fuit incessamment devant elle, mais vers lequel, sans se lasser, elle gravite éternellement.

En considérant les choses de près, on reconnaît qu’il n’y a pas d’étages nettement limités, pas d’âge qui débute ni qui se termine ; il y a des êtres vivants et, en dehors de ces êtres, des phénomènes physiques. Les premiers sont influencés par les seconds ; ils avancent ou reculent selon les circonstances, luttant ensemble, s’excluant ou s’associant, profitant, pour s’avantager de tous les incidents qui favorisent leur essor, se modifiant dans des proportions dont la mesure nous échappe, ou bien s’arrêtant pour traverser presque sans varier des périodes entières. Finalement une portion de ces êtres finit par succomber et disparaître à jamais. Au dehors d’eux cependant, le ciel, les climats, les agents physiques, le sol, les continents et les mers, tout change, tout varie, tout se modifie, sans doute sous l’empire d’une loi générale, dont il n’est pas impossible que nous ne finissions par saisir le secret.

Avant l’époque tertiaire, le règne végétal, longtemps pauvre et monotone, bien que puissant par intervalles, s’était cependant complété par l’adjonction de la classe des Dicotylédones angiospermes, et, à côté de cette classe, celle des Monocotylédones, longtemps faible et subordonnée, avait également grandi, quoique dans une moindre proportion. Au