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3" ANNÉE. — K* 79.

5 DÉCEMBRE 1X74.

LA NATURE

REVUE DES SCIENCES

ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE

LE BEURRE ARTIFICIEL

Tout le monde sait que le beurre naturel est un des principes immédiats du lait ; il constitue la matière grasse de ce liquide qui renferme environ 3 p. 100 de beurre, 5 p. 100 de lactose, 3 p. 100 de caséum, 1/2 p. 100 de matières minérales, et 88 p. 100 d’eau. Quand le lait est abandonné à lui-même, il ne tarde pas à laisser surnager à sa partie supérieure de la crème. Cette crème battue dans des barattes se sépare de la caséine et du sérum, et le beurre qu’elle renferme reste adhérent aux palettes de bois de l’appareil.

Le beurre rentre dans la classe des substances que les chimistes désignent sous le nom de corps gras. Jusqu’en 1813, on croyait que ces corps gras, qui comprennent les huiles, les graisses, le beurre, étaient des principes immédiats ; mais M. Chevreul allait démontrer, par des travaux qui resteront impérissables dans l’histoire de la chimie, qu’ils sont au contraire formés de plusieurs principes particuliers, mélangés entre eux dans des proportions différentes. Prenons une huile végétale quelconque, de l’huile d’olive, par exemple. Soumettons-la à l’action d’une basse température de 0°, elle se congèle. Pressons cette huile congelée entre des papiers poreux, ces papiers s’imbiberont d’un liquide huileux que nous pourrons séparer et qui est encore liquide à — 4°, il restera entre eux une substance solide, dure, formée de paillettes nacrées, et fondant à 28°. Ainsi l’huile d’olive, une des substances qui forment la liste des corps gras, est composée de deux principes bien différents et que nous séparons facilement. L’un, solide, a été appelé margarine parce que son aspect nacré est analogue à celui de la perle (margarita). Le second, liquide, a été nommé oléine parce qu’il ressemble à de l’huile (oleum).

Si l’on analyse encore d’autres corps gras, on les dédoublera de la même façon ; mais dans le cas de la graisse animale, du suif de mouton, par exemple, on pourra obtenir non-seulement de l’oléine et de la margarine, mais une troisième substance, la stéarine, ainsi nommée d’un mot grec qui signifie suif et qui est devenue la matière constitutive des bougies.

Oléine, margarine et stéarine sont les principes immédiats des corps gras. Les huiles végétales et le beurre de vache sont formés d’oléine et de margarine. Les corps gras d’origine animale, les graisses, le suif, renferment de l’oléine, de la margarine et de la stéarine.

Ou comprendra facilement que par suite de ces rapprochements de composition, les chimistes n’aient pas considéré comme une œuvre impossible la transformation du suif en beurre.

Après une série de recherches importantes, un savant déjà connu par de remarquables travaux, et qui a attaché son nom à un procédé nouveau de panification, M. Mège-Mouriès, a su obtenir, à l’aide de la graisse animale, un composé d’oléine et de margarine qui offre une constitution chimique semblable à celle du beurre naturel. Ces résultats intéressants ont attiré, depuis quelque temps déjà, l’attention de l’administration et du public ; le conseil de salubrité a confié le soin d’examiner la nouvelle substance, à M. F. Boudet, qui a publié à ce sujet un travail complet, dont nous reproduisons ici quelques passages. « Il y a plusieurs années, dit M. Boudet, à l’époque où M. Mège-Mouriès, chargé par le gouvernement d’étudier quelques questions d’économie domestique, s’occupait de la fabrication normale du pain, il fut invité à faire des recherches dans le but d’obtenir, pour l’usage de la marine et des classes peu aisées, un produit propre à remplacer le beurre ordinaire, à un prix moins élevé, et capable de se conserver sans contracter le goût âcre et l’odeur forte que le beurre prend en peu de temps. »

M. Mège entreprit dans ce but les expériences suivantes à la ferme de Vincennes. Il mit plusieurs vaches laitières à une diète complète. Ces vaches éprouvèrent bientôt une diminution de poids et fournirent une proportion décroissante de lait, mais ce lait cou-