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LA NATURE.

d’après un dessin fait sur place, en 1846, par M. Edouard Collomb, un des plus fidèles amis de M. Dollfus-Ausset et de Louis Agassiz.

La pierre, qui était tombée vers la fin du siècle dernier des hauteurs du Schreckhorn, était de nature schisteuse et se démembrait progressivement à mesure qu’elle suivait la pente naturelle des glaces. D’après les mesures prises, il y a une trentaine d’années, c’était précisément en 1873 qu’elle devait arriver au terme de sa carrière et se coucher pour toujours sur les flancs de la moraine frontale. Mais il y a déjà longtemps qu’elle n’est plus représentée que par des blocs épars sur la neige.

C’est eu 1846 qu’Agassiz, ne pouvant suffire aux frais de sa gloire, fut obligé d’aller chercher en Amérique une moins rude existence ! Ce n’est pas sans une vive émotion qu’il quitta ces Alpes si chères à son cœur de montagnard, ces Alpes qui lui avaient rendu une première fois la santé en 1865, et vers lesquelles il est mort tournant encore ses regards.

La dernière fois qu’il aperçut les grandes cimes où il avait erré si souvent, il avait gravi les plus hauts ballons des Vosges, et de grosses larmes coulaient de ses yeux en songeant aux incertitudes de l’avenir.

Quelques semaines après, il voguait à toute vapeur vers la terre féconde où il devait trouver une nouvelle patrie, plus généreuse que celle que lui avait donnée la nature. W. de Fonvielle.


CHRONIQUE

Étonnante monstruosité. — La mode est aux monstres. L’homme-chien et la femme à deux têtes. qui ont eu à Paris un si grand succès, vont probablement nous attirer les monstres de toutes les parties du monde. En attendant de nouvelles exhibitions, nous citerons un cas remarquable de monstruosité dont M. Depaul a parlé dans une des dernières séances de l’Académie de médecine. Il s’agit d’une petite fille de cinq ou six ans, qui porte à la partie intérieure de l’abdomen, la moitié d’un corps d’enfant avec deux jambes parfaitement conformées. On dirait en un mot, un autre enfant qui est entré dans le ventre de la petite fille, et dont on ne voit que la moitié inférieure du corps. Cet appendice prodigieux est perpendiculaire à l’axe du corps de la petite fille ; M. le docteur Depaul se demande s’il ne serait pas possible d’enlever une infirmité aussi embarrassante.

Le nouveau président de la Société royale de Londres. — Contrairement à ce qui se passe de ce coté du détroit, la Société royale de Londres ne change pas chaque année de président. L’habitude courante est de renommer le président sortant, à moins qu’il ne se retire volontairement, comme sir Biddel Arv vient de le faire. C’est ainsi que Newton fut réélu vingt-quatre fois et que Joseph Banks le fut quarante et une. C’est le président qui a fourni la plus longue carrière. M. Houker, botaniste célèbre, directeur du Jardin de Kew et fils du botaniste du même nom, vient d’être nommé à ce poste élevé, qui n’a point, comme on le voit, d’équivalent en France. Depuis 1840, le jardin de Kew est administré par les Hooker qui en ont fait une des merveilles de Londres. H. Hooker, âgé aujourd’hui de cinquante-sept ans, est célèbre par ses explorations botaniques poussées jusqu’au Thibet, et par ses succès d’acclimatation des thés dans l’Inde.

C’est le premier botaniste élevé à la présidence de la Société royale depuis Banks. Mais sa nomination est un acte d’indépendance de la Société, qui proteste aussi contre les violences du chancelier de l’Échiquier et les mauvaises humeurs de M. Gladstone. Au contraire, la nomination de Banks était un acte de complaisance vis-à-vis du roi Georges, grand ami de ce compagnon de Cooks. Le prédécesseur de Banks était le docteur Pringle, qui préféra donner sa démission plutôt que de déclarer que les paratonnerres devaient être terminés par une boule. C’était la ridicule théorie du docteur Wilson que le roi Georges soutenait, afin de démontrer que Franklin avait eu tort de les terminer en pointe.

Exploration du fleuve Bleu par M. Francis Garnier. — La Société de géographie de Paris a reçu, par l’intermédiaire du ministre de la marine et des colonies la communication du rapport adressé à M. l’amiral gouverneur de la Cochinchine, par M. Francis Garnier, lieutenant de vaisseau, ancien chef de l’expédition du Mé-Kong. Ce rapport est un résumé du Voyage que l’éminent explorateur vient de faire à ses frais dans la Chine centrale pendant les mois de mai, juin, juillet et août 1873[1].

Dans cette expédition remarquable, dit le Journal officiel, M. Francis Garnier s’est proposé d’examiner les moyens et l’opportunité de canaliser le fleuve Bleu en amont de Han-Kou (dernier port ouvert aux Européens) pendant un parcours de 120 milles jusqu’au point où ses eaux s’étalent dans les immenses et fertiles plaines du Tse-Tchuen. Actuellement, en raison même des sinuosités du fleuve entre Han-Kou et la ville d’Ichang, les Chinois prennent une route plus courte par une sorte de voie canalisée dans laquelle le grand lac Toug-tin couvre de ses eaux une immense dépression de terrain où surgissent ça et là quelques collines. La circulation est très considérable sur ce lac, et la description que donne M. F. Garnier des pays qu’il vient de parcourir témoigne d’une activité agricole, commerciale et industrielle égale à celle des pays les plus favorisés de l’Europe.

Mais les richesses naturelles et industrielles que ce travail met en état d’exploitation ne sont que fort incomplètement utilisées par suite de l’absence des moyens rapides de circulation et de correspondance qui font défaut au pays. L’accès seul d’Européens entreprenants suffirait à en décupler les ressources au bout de quelques années. Malheureusement les grands centres de population sont encore fort hostiles aux « barbares de l’Occident, » et le gouvernement chinois ne peut étendre qu’avec une extrême prudence les zones accessibles à nos commerçants. Au nombre des principales ressources minérales, il faut signaler des gisements aurifères dignes d’être exploités. Les mines de cinabre sont en très-grande abondance et très-riches; le soufre, le fer, la houille, le sel sont également abondants et le plus souvent très-grossièrement exploités.

Résultats de l’exploitation des chemins de fer anglais. — En prenant pour unité le mille parcouru par les trains, soit de voyageurs, soit de marchandises, on arrive aux résultats suivants. L’entretien moyen du mille coûte 58 c. 8 pour la voie et les travaux d’art. La traction

  1. Voy. la Table de la première année de la Nature.