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LA NATURE.

d’Udjidji. Situé entre le 27e et le 28e degré de longitude, le Tanganyika, lac aux eaux douces et poissonneuses, s’étend du 8e au 3e degré de latitude australe, long de 250 milles, il ne dépasse pas 30 à 35 milles dans sa plus grande largeur et se trouve enserré de de tous côtés dans un cirque de collines rocheuses hautes de 600 à 900 mètres.

Après deux mois d’explorations et de courses incessantes en canot sur le lac, les voyageurs reprirent la route de Kaseh. Mais leurs démêlés constants avec les chefs de peuplades, contre l’avidité desquels ils étaient forcés de défendre leur cargaison, les fatigues de la route et les fièvres paludéennes avaient altéré la santé de MM. Speke et Burton. Ce dernier même fut obligé de s’arrêter à Kaseh, tandis que son compagnon, grâce aux renseignements donnés par les naturels, découvrait après vingt-cinq jours de marche un nouveau lac auquel il donnait le nom de Victoria-Nyanza. Speke ne put malheureusement faire qu’une courte reconnaissance du lac dans sa partie méridionale, qu’il fixe par 2 degrés 41 minutes. La différence de niveau entre le Victoria et le Tanganyika lui fit croire que ces deux lacs appartenaient à des bassins hydrographiques différents, car le Victoria s’élevait de 1 008 mètres et le Tanganyika de 925 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer.

Les résultats de cette expédition étaient considérables. L’intérieur du continent n’était pas, comme on l’avait cru jusqu’alors, un immense désert de sable, mais une série de pays accidentés, des collines abruptes, stériles, des pics sourcilleux couverts de neiges éternelles, des plaines fertiles, habilement cultivées, bien arrosées et de riantes vallées avec une végétation luxuriante ; au centre, un groupe de grands lacs qui recevaient les eaux des montagnes et se déversaient à leur tour, pensait Speke, en fleuves considérables. « La Victoria, disait-il, était le réservoir la source du Nil. »

La découverte du capitaine Speke fit grand bruit en Angleterre : la question était résolue ; mais à ce premier enthousiasme succédèrent bientôt et la réflexion et l’examen approfondi des résultats obtenus. Speke, lui-même, pour mettre fin aux dissentiments qui s’étaient élevés au sein de la Société de géographie et du monde savant, résolut de compléter sa découverte et de suivre jusqu’à Gondo-Koro la rivière que les naturels lui avaient dit s’échapper de l’extrémité septentrionale du Victoria-Nyanza. Il s’adjoignit pour cette nouvelle expédition le capitaine Grant, de l’armée des Indes, et débarqua à Zanzibar au mois d’août 1860. Ce ne fut pas chose facile que de réunir les porteurs et l’escorte qui devaient accompagner les voyageurs ; toutes les mesures semblaient bien prises, lorsque le capitaine Speke, fort de l’expérience de sa première tentative, se mit en route. Mais une famine épouvantable, les ravages des négriers, les exigences des naturels retinrent un an entier l’expédition dans les contrées que Speke avait autrefois si facilement parcourues. Ce fut à la fin de 1861 seulement qu’il atteignit le Victoria. Les deux explorateurs recueillirent sur ses bords, pendant toute une année, une quantité d’informations sur les habitants et les pays voisins, ainsi que sur le régime hydrographique auquel appartenait le Victoria. L’étendue de ce lac serait de 75 lieues ; sa largeur serait au moins aussi considérable ; ses eaux, peu profondes, ont dû s’élever autrefois beaucoup plus haut. Le climat, grâce à l’élévation du pays, est excessivement doux, mais les pluies continuelles le rendent malsain et en font le séjour de fièvres pernicieuses. C’est à cette persistance des pluies pendant toute l’année, mais surtout pendant les mois d’octobre et de novembre, d’avril et de mai, qu’il faut attribuer les crues du Nil qui correspondent à ces époques. Le résultat le plus important de cette première partie du voyage est dans l’assurance donnée par les indigènes de l’existence au nord-est du Victoria d’un autre grand lac, le Baringo, celui-là même dont avaient entendu parler les missionnaires de Motnbaz. Enfin un autre lac, au moins aussi important, le Mwoutan-Nzighé, « e trouverait au nord-Ouest sur le bord opposé du Nyanza à huit ou dix jours de marche. MM. Speke et Grant auraient vivement désiré s’assurer de la réalité de ces informations, mais les fatigues qu’ils avaient essuyées depuis leur départ, l’épuisement de leur cargaison de verroterie, eu même temps que le désir de compléter leur reconnaissance en vérifiant si l’important cours d’eau qui sort du Nyanza était bien le Nil, leur commandaient impérieusement de gagner l’Égypte. Ils étaient à ce moment à 150 lieues de Gondo-Koro. Une sorte de mer de boue et de roseaux à travers laquelle se faisaient jour divers cours d’eau, terminait le lac. Le plus considérable de ces courants, deux fois plus large que la Seine à Paris, fut suivi par MM. Speke et Grant pendant deux degrés jusqu’aux cataractes de Karuma, où, par un coude immense dans l’ouest, il allait se jeter, suivant les naturels, dans le lac Mwoutan-Nzighé. Mais la guerre qui désolait ce pays ne permit pas aux voyageurs de faire cette course énorme ; ils coupèrent au plus court, droit devant eux, retrouvèrent par 5 degrés 1/2 de latitude nord un fleuve considérable ; vraisemblablement le même qu’ils avaient abandonné : c’était le Nil Blanc. Ils atteignirent quelques jours après l’établissement d’un négrier, le Maltais Debono, et arrivèrent à Goudo-Koro le 15 février 1863.

La joie des deux explorateurs fut grande en y trouvant un voyageur de leur nation, sir Samuel White Baker, qui se préparait à aller à leur rencontre, et à tenter en partant du nord l’expédition qu’ils venaient de faire en partant du sud. Ils étaient rejoints quelques jours après, dans cette localité, pur un commerçant anglais, M. Petherick, que la Société de géographie de Londres avait chargé d’amener à MM. Speke et Grant un ravitaillement complet ; mais les barques avaient été pillées et détruites par les nègres ; lui-même avait à grand’peine échappé aux assaillants, et, loin d’apporter des se-