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LA NATURE.

changements, souvent très-marqués, que l’âge, les saisons, l’époque des amours, etc., amènent dans bon nombre d’espèces appartenant à ces deux classes de Vertébrés.

Les métamorphoses des Reptiles batraciens (crapauds, grenouilles, salamandres) sont connues et parfaitement décrites depuis longtemps. Pline en parle, mais en mêlant à chaque instant l’erreur avec la vérité. Ovide les a décrites de manière à ne pas être démenti par les naturalistes, sauf toutefois en ce qui regarde l’origine singulière qu’il attribue à ces reptiles, en les faisant naître de la boue des marais.

Semina limen habrt virides generantia ranas.
Ovide.

« Le limon contient des semences ou des germes qui donnent naissance aux vertes grenouilles. »

Quant aux poissons, bien que l’embryogénie de certaines espèces ait été étudiée avec soin par plusieurs observateurs très-habiles, il était naguère encore généralement admis qu’ils sortaient de l’œuf avec les formes et les organes qu’ils devaient toujours conserver. Erreur grave et d’autant plus étonnante, que les œufs des poissons, par leur transparence habituelle, par leur grand nombre chez un seul et même individu femelle, par l’extrême facilité avec laquelle on peut les féconder artificiellement, offrent à l’observateur des moyens d’étude jusqu’à présent trop négligés. Aussi, concevons-nous très-bien que le professeur Agassiz ait excité une surprise générale lorsqu’il y a huit ou neuf ans, il est venu dire aux naturalistes que l’Argyvopelecus hemigymnus (Cuvier), n’était pas autre chose que la Dorée ou poisson Saint-Pierre (Zeus faber, Linné), et que le genre Sarchirus de Rafinesque était un jeune Lepidostée.

Dans une lettre adressée à M. Milne Edwards, de l’Institut, le 26 décembre 1864, le célèbre professeur de Cambridge (États-Unis), s’exprimait ainsi qu’il suit : « Je me propose prochainement de faire voir comment certains petits poissons, ressemblant d’abord à des Gadoïdes ou à des Blennoïdes, passent graduellement an type des Labroïdes et des Lophioïdes. Je pourrais également montrer comment certains embryons, semblables à des têtards de grenouilles ou de crapauds, prennent peu à peu la forme de Cyprinodontes, comment certains Apodes se transforment en jugulaires ou en Abdominaux, et certains Malacoptérygiens en Acanthoptérygiens, et enfin comment on pourra fonder une classification naturelle des Poissons sur la correspondance qui existe entre leur développement embryogénique et la complication de leur structure à l’état adulte[1]. »

Nous ignorons si, depuis l’époque où il écrivait ces lignes à M. Milne-Edwards, l’illustre naturaliste dont nous venons de citer les paroles s’est occupé d’un ouvrage spécial sur les métamorphoses des poissons. Mais nous n’avons pas voulu laisser échapper l’occasion toute récente de nous convaincre de l’exactitude de ses assertions. Nous avons donc profité de l’obligeance de M. Guy, dont le magnifique aquarium toulousain renfermait un couple de Macropodes en voie de reproduction ; et, en suivant jour par jour, heure par heure, le développement de ces jolis poissons chinois, nous avons pu, nous l’espérons du moins, mettre hors de doute les curieuses transformations qu’ils subissent et confirmer ainsi, par nos observations personnelles, celles du savant Américain.

L’œuf du Macropode est de couleur blanche et de la grosseur d’un grain de pavot.

Fig. 1. — Œuf du premier jour, observé à 4 heures et demie du soir.

Il se compose d’une coque transparente et d’un vitellus (ou jaune) formé de nombreux globules, qu’accompagnent beaucoup de vésicules graisseuses groupées autour d’une vésicule plus grosse et occupant le centre du l’œuf eu voie d’évolution. Bientôt de petites éminences apparaissent à la surface du vitellus et occupent la place où devront se montrer, quelques heures plus tard, la tête, les yeux, et, au pôle opposé, la partie caudale elle-même. Ces mamelons font partie d’une couche dite blastodermique, ou blastoderme, qui constitue les premiers rudiments du corps de l’embryon et s’étend circulairement autour du jaune, qu’elle recouvre en partie.

Fig. 2. — Œuf observé le deuxième jour après la fécondation, à 6 heures du matin ; y, y, les yeux ; e, éminence plus claire qui les sépare ; q, saillie représentant la queue ; b, blastoderme ; v, vitellus avec ses gouttes huileuses, et ses globules ; c, coque ou Membrane extérieure de l’œuf ; i, liquide albumineux.

Vers le soir du second jour, la tête se dessine ; l’œil et son cristallin se voient distinctement ; le tronc et la queue sont toujours recourbés

  1. Agassiz, Annales des sciences naturelles, t. III, Ve série, p. 56. — Au moment même où nous corrigeons les épreuves de cet article, nous apprenons la mort du professeur Agassiz. Qu’il nous soit permis de consigner ici l’expression de nos vifs regrets, à l’occasion de la perte immense que les sciences naturelles viennent de faire en la personne de l’illustre zoologiste.