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LA NATURE.

naire et à sang froid ; car Cuvier a appris au paléontologiste à lire dans quelques restes d’os les détails de l’organisation viscérale et les particularités de la vie d’êtres à jamais disparus. À côté de caractères analogues à ceux des tortues, le célèbre savant anglais en trouva d’autres qui éloignent les dicynodontes de ces animaux pour les rapprocher des lézards, mais sans les confondre avec eux. D’après Huxley, ils devaient avoir une longue queue.

Aussi, Owen fit-il des reptiles qui nous occupent un ordre à part qui, sous le nom d’anomodontes, est maintenant aussi important et aussi bien caractérisé que n’importe quel autre ordre de la classe des reptiles. Cet ordre comprend plusieurs genres et, entre autres, celui des ptychognathus, auquel appartient l’animal dont on a dessiné ici le crâne d’après nature. C’est le P. depressus, découvert et décrit par M. le docteur Fischer, aide-naturaliste au Muséum d’histoire naturelle.

Les os ne sont pas conservés partout ; le plus souvent ils ont été usés ; sur quelques points ils ont disparu jusqu’à la gangue, qui est un grès dur à grain très-fins, de couleur gris verdâtre. Les défenses sont brisées, mais le dessinateur, tout en faisant sentir le point où s’est faite la rupture, les a restaurées pour rendre à l’animal sa véritable physionomie. Les cavités orbitaires sont grandes, arrondies, éloignées l’une de l’autre ; le globe oculaire devait se trouver à fleur de tête. M. Fischer signale dans la mâchoire inférieure deux cavités ressemblant à des alvéoles incisifs ; peut-être sont-ce réellement des dents rudimentaires, aussi peu développées que celles des hyperodontes parmi les cétacés. Il serait bien intéressant d’élucider cette importante question.

Quoi qu’il en soit, les anomodontes sont remarquables par l’ensemble de leurs caractères, qui en l’ont des êtres étranges, parce qu’ils semblent, avoir été empruntés aux régions les plus diverses du règne animal. C’étaient, comme nous l’avons dit, des intermédiaires entre les lézards et les tortues : la partie antérieure de leur tête est construite comme chez les premiers, mais ils avaient, comme les secondes, le bord des mâchoires édentulé et recouvert pendant la vie d’un étui corné analogue à un bec. La manière oblique dont s’ouvrait la bouche des ptychognathus rappelle certains poissons. D’après Huxley, leurs narines et divers traits de leur ostéologie les rapprochent des oiseaux. Leurs défenses ont beaucoup plus d’analogie avec la dent des mammifères qu’avec celle des reptiles. Enfin, la constitution du bassin d’un grand dicynodonte, par la manière dont les deux côtés sont soudés ensemble, reproduit aussi une particularité propre à divers mammifères et qui ne s’était jamais rencontrée jusqu’ici parmi les reptiles.

C’est par des transitions de ce genre, entre les types regardés comme les plus différents, que la paléontologie excite si vivement l’intérêt, non-seulement des savants, mais de tous ceux qui sont sensibles aux harmonies grandioses de la philosophie naturelle.

Stanislas Meunier.

ORIGINE DES CYCLONES

(Suite et fin. — Voy. p. 20.)

Un certain nombre de cyclones formés près de l’équateur passent dans la mer des Antilles et se dirigent progressivement vers l’est, en parcourant dans la zone tempérée la seconde branche de leur trajectoire parabolique. Plusieurs d’entre eux arrivent jusqu’aux côtes occidentales de l’Europe. On a constaté que le plus souvent ils traversent l’Atlantique le long du Gulf-stream, et les marins ont donné par suite à ce courant le nom de père des tempêtes. Il est facile de voir, d’après la théorie de M. Peslin, à quoi tient la constance de la route suivie par le tourbillon sur l’Atlantique. L’atmosphère, au-dessus du fleuve d’eau tiède sorti du golfe du Mexique, est dans sa partie inférieure plus chaude et plus chargée de vapeur que l’atmosphère voisine au nord et au sud, ce qui explique les épais brouillards de l’hiver dans cette région. À une certaine hauteur seulement, on retrouve l’identité d’état entre les couches d’air. On rencontre donc au-dessus du Gulf-stream les deux conditions principales qui ont été reconnues favorables à la propagation des tempêtes tournantes ; la décroissance rapide des températures et un air voisin de la saturation.

Toutes les tempêtes tournantes qui traversent l’Atlantique dans la région extra-tropicale n’ont pas été fermées dans la zone torride. Celles que le courant équatorial amené sur les côtes occidentales d’Europe sont beaucoup plus nombreuses que celles qui traversent la mer des Antilles. Elles présentent de plus une grande variété dans leur étendue et leur intensité, depuis les violents cyclones semblables à l’ouragan de l’Amazone dont nous avons reproduit la description, jusqu’aux simples bourrasques qui ont été comparées aux remous tournoyants visibles dans le courant d’un fleuve. Ces bourrasques sont caractérisées, comme les cyclones, par une baisse plus ou moins forte du niveau barométrique qui se produit au centre des masses aériennes dans lesquelles la pression croît dans tous les sens à partir du minimum central. Sur les cartes synoptiques tracées à l’aide des données journalières fournies par les stations météorologiques reliées par le réseau électrique européen, les courbes isobares permettent de suivre les mouvements de ces tempêtes tournantes dont les vents, en général parallèles aux courbes, soufflent dans le sens indiqué par la loi des tempêtes. Les trajectoires des centres ont souvent des points de rebroussement, des directions dépendantes de l’orographie de la contrée. Quelquefois ces tourbillons dévient jusqu’au Sahara africain et reviennent ensuite en Europe, où ils laissent tomber le sable qu’ils entraînent. On a pu rattacher en outre au passage de ces mouvements tournants la généralité des orages.

Quelques-unes des cartes synoptiques des atlas météorologiques publiées par l’Observatoire de Paris