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LA NATURE.

poursuit en ce moment avec son fils. En parler plus longuement serait aujourd’hui une indiscrétion, mais ce que nous en avons dit suffit, pour qu’on voie combien est précieuse la nouvelle disposition des tubes à effluves.


COMMENT VOYEZ-VOUS LA LUNE GROSSE ?

Il m’est arrivé fort souvent, par une étude d’appréciation optique dont je vais parler, d’adresser après dîner à diverses personnes la question que je viens de transcrire. Je voulais savoir, d’une part, si tout le monde juge identiquement des grandeurs apparentes qu’il ne peut vérifier, et, d’autre part, si l’erreur commune dont la rectification fera l’objet de cet article est moins générale que je ne pensais.

Nous voyons le soleil et la lune à peu près de la même grosseur dans le ciel. Cette grandeur dépend à la fois des dimensions réelles des corps célestes et de la distance à laquelle ils sont éloignés de nous. Ainsi le soleil 1 279 000 fois plus gros que la terre, ne nous paraît pas plus volumineux que la lune, qui n’est pourtant que les deux centièmes du volume de la terre, c’est-à-dire cinquante fois plus petite. Il faudrait cinquante lunes pour former un globe de la grosseur de la terre, et il en faudrait 50 fois 1 279 000 ou 64 millions, pour former un globe de la grosseur du soleil. Ainsi, quoique 64 millions de fois plus petite, la lune nous paraît aussi grosse que le soleil, parce qu’elle n’est qu’à 60 rayons de la terre, ou 96 000 lieues de 4 kilomètres, tandis que le soleil est à 37 millions de lieues d’ici, ou 23 000 rayons terrestres. La distance de la lune à la terre n’est que les 0,00259 de la distance de la terre au soleil.

Les diamètres du soleil et de la lune sont entre eux comme les nombres 108 556 et 273 ; il en est de même de leurs circonférences, puisqu’on démontre en géométrie que les circonférences sont entre elles comme leurs rayons. Ainsi la circonférence de la lune est environ 400 fois plus petite que celle du soleil. D’autre part, la lune est environ 400 fois plus proche que le soleil. Voilà comment ces deux astres nous paraissent être de la même grandeur.

Numériquement, le soleil sous-tend dans le ciel, pour l’observateur terrestre, un angle de 31′ 3″ et la lune 31′ 8″. Ce sont là les grandeurs apparentes moyennes. Comme leurs distances à la terre changent à chaque instant, ces deux astres paraissent tantôt un peu plus grands que cette valeur moyenne, tantôt un peu plus petits. C’est aussi là ce qui fait que, quand la lune passe devant le soleil, elle est tantôt juste de la même grosseur, et produit une éclipse totale d’un instant ; tantôt plus grosse, et produit une éclipse totale de plusieurs minutes ; tantôt plus petite et produit une éclipse annulaire, dans laquelle le disque brillant du soleil déborde tout autour du disque noir de la lune comme un anneau lumineux.

Ces principes astronomiques une fois posés, je reviens à ma question si souvent faite depuis plusieurs années par moi-même à un très grand nombre de personnes, et je vous demande de quelle grosseur apparente vous voyez la lune et le soleil.

À cette question, posée à table, comme je l’ai dit plus haut, on m’a presque toujours répondu en prenant un point direct de comparaison : « comme une assiette. »

Cette réponse générale, qui paraît satisfaisante, ne l’est guère. Une assiette, pas plus que tout autre objet, n’a pas de grandeur apparente absolue. Tout dépend de la distance à laquelle on la regarde. Aussi avais-je soin de compléter ma question en ajoutant : « Comme une assiette vue à quelle distance ? » Et généralement on répond : « Comme une assiette placée sur la table… à 60 centimètres environ de notre œil. »

Voilà ce que j’ai constaté. C’est de cette dimension apparente que l’on voit généralement la lune. Certaines personnes la voient plus petite, d’autres la voient plus grosse ; l’appréciation n’est pas la même pour tous les yeux. Puis, à l’horizon, quand la pleine lune rouge s’élève des flots ou des montagnes, on croit la voir beaucoup plus volumineuse encore, « comme un tonneau, comme une meule de foin, » etc. En réalité, sa grandeur apparente est plus petite à l’horizon que dans le ciel, de toute la valeur de la parallaxe de la terre. Aussi notre question a-t-elle pour objet la pleine lune dans le haut du ciel. On la voit grande comme un disque de plus de dix centimètres de diamètre, comme une assiette placée à 60 centimètres environ de notre œil, plus ou moins.

Eh bien, il n’y a pas au monde d’erreur plus colossale que celle-là. D’où provient-elle ? J’en ai vainement cherché la cause.

Examinons, en effet, la question de plus près. La lune offre un diamètre de 31 minutes d’arc, c’est-à-dire d’un demi-degré environ (un peu plus). Qu’est-ce qu’un degré ? C’est la trois cent soixantième partie d’une circonférence quelconque. Ainsi supposons que la table autour de laquelle nous causons mesure 360 centimètres de circonférence, c’est à dire 1m,14 de diamètre, ou 57 centimètres de rayon. Si nous divisons le bord de la table par centimètres, chaque centimètre, chaque intervalle entre deux divisions équivaudra précisément à un degré.

Or, si l’on plaçait sur le bord de la table un disque de papier de la grandeur apparente de la lune, loin de couvrir l’emplacement d’une assiette, il ne devrait occuper que la moitié de l’une de ces divisions, la moitié de 1 degré, la moitié de 1 centimètre : 5 millimètres et un dixième.

La lune et le soleil ne nous paraissent donc gros que comme un pois de 5 millimètres environ de diamètre, placé à 57 centimètres de notre œil. Au lieu de l’assiette, ce n’est plus qu’un pois dans l’assiette. On voit qu’il y a une sensible différence.

Ces 57 centimètres sont à peu près la longueur du bras, à partir de la paume de la main. Pour se con-