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LA NATURE.

M. Boillot, écrivain distingué, bien connu des lecteurs du Moniteur, propose de remplacer les fils du tube de M. Houzeau par du charbon de cornue contenu dans le tube intérieur et dans l’espace compris entre le tube à gaz et un troisième tube concentrique aux deux premiers ; enfin M. Arnould Thénard, qui porte dignement un nom déjà deux fois illustré par son grand père et par son père, apportai la construction des tubes une dernière modification qui leur donne une nouvelle efficacité.

Tube à effluves de M. A. Thénard.

Ainsi que l’indique la figure ci-jointe, l’appareil de M. A. Thénard se compose de trois tubes d’inégale longueur, soudés les uns sur les autres. Le tube central aa’ est rempli de chlorure d’antimoine en dissolution dans l’acide chlorhydrique ; le pôle négatif B de la bobine plonge dans le liquide qui descend jusqu’au fond du tube en a’ ; la même dissolution de chlorure d’antimoine est placée dans le tube extérieur E ; il reçoit le fil positif de la bobine en A. Le liquide EE est donc électrisé positivement, le liquide aa’ négativement et le gaz qui entre en C et sort en D, après avoir passé au travers de l’espace annulaire réservé entre les deux tubes, est soumis aux effluves électriques déterminés par les deux électricités contraires des deux liquides.

C’est dans des tubes ainsi disposés que M. A. Thénard dirige les gaz sur lesquels il veut faire agir les effluves électriques. Un de ceux qu’il soumit d’abord à ce traitement fut l’acide carbonique, qui se décomposa en oxygène et en oxyde de carbone avec augmentation de volume. L’expérience est parfaitement nette et de nature à montrer la différence complète d’action que présentent les effluves et les étincelles. Tandis que l’acide carbonique soumis à la force décomposante des décharges obscures renferme jusqu’au quart de son volume du mélange d’oxygène et d’oxyde de carbone qui provient de sa décomposition, l’acide carbonique décomposé par les étincelles brillantes d’une bobine n’en présente jamais que 7,5 %, car celles-ci agissent non-seulement sur leur force décomposante, mais aussi par leur chaleur, qui détermine la combinaison des gaz d’abord séparés, jusqu’au moment où acide carbonique, oxygène et oxyde de carbone se trouvent dans un état d’équilibre tel que l’étincelle ne produit plus d’effet, la décomposition étant égale à la combinaison. Cet équilibre est atteint quand le mélange renferme précisément 7,5 % d’oxyde de carbone.

Cette expérience n’est pas cependant la plus curieuse de celles qu’ont publiées, pendant le cours de cette année, MM. Paul et Arnould Thénard, travaillant en commun dans ce laboratoire de la place Saint-Sulpice, si libéralement ouvert à tous ceux qui veulent s’instruire.

M. Paul Thénard avait remarqué autrefois que le gaz qui s’échappe des marais renferme en volumes égaux l’acide carbonique et l’hydrogène protocarboné, c’est-à-dire qu’il constitue un mélange dans lequel le carbone, l’hydrogène et l’oxygène se trouvent en équivalents égaux comme lorsqu’ils sont combinés dans une matière organique, très-répandue : le glucose. L’effluve aurait-il la puissance de déterminer l’union de ces différents éléments, de façon à reconstituer une matière organique ? telle est l’idée qu’ont voulu vérifier MM. Paul et Arnould Thénard en faisant passer un mélange, à volume égal, de formène et d’acide carbonique dans un de leurs tubes à effluves, disposé de telle sorte que les changements de volume que les gaz devaient supporter devinssent faciles à constater.

Or, après dix minutes d’expériences, la condensation des gaz était déjà sensible, elle s’accrut avec le temps et bientôt on vit apparaître sur les parois des tubes un liquide doué d’un fort pouvoir réfringent, visqueux, jaunâtre, qui se trouva être une matière organique d’un ordre assez élevé, brûlant facilement. Sa nature n’a pas été déterminée, mais il suffit que sa formation ait été constatée pour qu’on saisisse l’importance de l’expérience de MM. Paul et Arnould Thénard.

La synthèse des matières organiques, au moyen des éléments, a toujours été un des problèmes qui préoccupent davantage les chimistes, et la végétation nous fait assister, en effet, à leur formation par une suite de réactions que nous sommes incapables de reproduire dans le laboratoire. N’est-il pas surprenant, par exemple, que sous l’influence de la lumière une feuille puisse décomposer l’acide carbonique et l’eau, matières extrêmement stables l’une et l’autre et que nous ne réduisons en leurs cléments qu’au moyen des températures les plus élevées que nous sachions produire ? Or ce travail qui s’exécute dans la feuille d’une plante, l’effluve l’exécute également, il décompose l’eau en oxygène et hydrogène : il sait réduire l’acide carbonique en oxygène et en oxyde de carbone, ainsi que cela a lieu dans les parties vertes des végétaux frappés par les rayons du soleil.