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LA NATURE.

Manche sont si admirablement outillés, absolument privé de moyens de travail. À ces mots, M. Le Verrier, comme si sa chaise eût subitement livré passage à un cent d’épingles, se lève brusquement : « Ce n’est pas ma faute, dit-il, s’il en est ainsi, et je suis le premier à le déplorer ; si cela dépendait de moi cet état de choses ne durerait pas longtemps, etc… » Cependant, comme personne ne l’avait nommé on peut s’étonner de cette susceptibilité. M. le directeur de l’Observatoire a dépensé toute son éloquence pour dire qu’il lui semblait dommage de compromettre d’admirables travaux pour des conséquences hasardées. Il regarde tout ce qui a rapport à une évolution des étoiles comme absolument faux et suivant lui, si les étoiles étaient en passe de se refroidir, il y a longtemps maintenant qu’il n’y en aurait plus une seule assez chaude pour rayonner. On doit conclure de cette affirmation que M. Le Verrier sait la température des étoiles, la vitesse de leur refroidissement, l’époque depuis laquelle elles se refroidissent, etc. Mais il aurait bien dû, à cet égard, donner à l’assistance quelque éclaircissement. Espérons qu’il y reviendra.

Structure de l’œuf. — Il y a déjà quelque temps, M. Balliam, étudiant des œufs d’arachnides, trouva qu’à côté de la vésicule germinative, il s’en trouve une autre qui avait passé inaperçue. Poursuivant ses recherches il trouva que la nouvelle est justement la véritable vésicule germinative et que l’autre, désignée jusque-là sous ce nom, est réellement une vésicule nutritive. Ces faits intéressants ont été confirmés pour les œufs de poisson osseux. Or, l’auteur constate aujourd’hui que la vésicule germinative de ces œufs est réellement une cellule toute organisée et de plus que cette cellule est fournie de toute pièce par la paroi de l’ovaire où l’œuf s’est formé. Il y a là, quant à la transmission de la vie des parents à leurs descendants, un fait dont l’importance capitale n’échappera à personne.

Poissons et poisons. — Au point de vue de l’unité des phénomènes physiologiques, le travail publié aujourd’hui par MM. Rabuteau et Fernaud Papillon est digne d’attention. Ces expérimentateurs ont reconnu, en effet, que chez les poissons les matières toxiques diverses agissent rigoureusement de la même manière que chez les mammifères et les oiseaux.

Rivage miocène à Fresnes-lès-Rungis. — Dans une note que M. Daubrée présente à l’Académie, nous signalons le village de Fresnes, comme situé précisément sur le littoral de la mer qui, au début de l’époque miocène, nourrissait en abondance les huîtres cyathules. L’examen de la couche où sont contenues ces coquilles, nous a fourni en abondance de petits galets calcaires dont la présence suppose forcément le voisinage d’un rivage battu par les flots. De plus ces galets calcaires sont fossilifères et les coquilles qu’ils renferment montrent qu’ils ont été arrachés à des assises de calcaire de Saint-Ouen. C’est donc ce dernier terrain qui constituait les falaises à l’époque où Fresnes aurait pu être un port de mer, si les hommes eussent existé.

Stanislas Meunier.

DE VERNEUIL

Parmi les membres de l’Institut que l’année 1873 a moissonnés, un des plus regrettables est certainement M. de Verneuil, académicien libre. Le fauteuil que cet homme de bien avait rempli si dignement est aujourd’hui occupé par M. de Lesseps.

M. de Verneuil appartenait par sa naissance et par ses alliances à la haute aristocratie française, notamment à la famille de Broglie qui a hérité de sa fortune sauf les legs faits aux sociétés savantes, et particulièrement à la Société de géologie dont il fut un des fondateurs.

Quoiqu’il pût prétendre aux fonctions les plus élevées de l’État, il professa pendant toute sa carrière la plus profonde indifférence pour les intrigues politiques, et le plus grand éloignement tant pour le monde que pour les cours et les antichambres des ministères.

M. de Verneuil était toujours occupé à augmenter ses collections de géologie, à les classer, à les décrire. Elles étaient devenues si considérables pendant les dernières années de sa vie, qu’il eut un procès avec le propriétaire de la maison qu’il occupait rue de Varennes parce que ce personnage craignait qu’en entassant tant de morceaux de roches et de pierres, on fit écrouler son immeuble.

Ces échantillons venant de pays lointains avaient été souvent recueillis sur place par M. de Verneuil, qui exécuta de très-longs voyages d’exploration, toujours à ses frais. Nous citerons au nombre de ces grandes excursions, l’exploration des monts Ourals, avec Murchisson, qui devait plus tard devenir le directeur du geological Survey d’Angleterre, et qui grâce à cette grande entreprise scientifique put concevoir la pensée de son grand ouvrage Siluria.

La théorie des gisements aurifères, complètement inconnue quand M. de Verneuil partit pour la Russie, est un des fruits de ces explorations.

M. de Verneuil exécuta sept voyages successifs en Espagne avec M. Edouard Collomb, et le résultat de ces campagnes scientifiques, longues et pénibles, fut la publication de la carte géologique de ce beau pays. Grâce à ces travaux, l’enseignement géologique fut créé en Espagne. Si M. Collomb avait été Anglais sans doute qu’il eut été récompensé, comme le fût Murchisson. Mais comme il a l’honneur d’être Français, il ne recueillit aucun fruit de ses longs travaux.

M. de Verneuil a fait au Vésuve une multitude d’excursions, notamment pendant la grande éruption de 1872, où il partagea volontairement tous les périls de M. Palmieri : arrivé trop tard pour assister au commencement de l’éruption, il se dirigea à l’observatoire vésuvien au moment où les populations fuyaient épouvantées. C’était un magnifique spectacle que de voir ce vieillard s’avancer presque seul au milieu d’une pluie de feu, bravant la mort pour jouir d’un admirable phénomène et pour assouvir la soif de savoir qui le dévorait.



Le Propriétaire-gérant. G. Tissandier.

Corbeil. — Typ. et stér. de Crété.