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LA NATURE.

ou Jeberos. Un savant anthropologiste, bien connu par ses remarquables travaux, M. E. T. Hamy, vient de jeter un jour nouveau sur l’histoire de ces peuplades, sur leurs mœurs, et principalement sur certains usages caractéristiques, qui semblent permettre de les relier à un grand groupe ethnique qui comprendrait tous les sauvages Guaranis. Nous aborderons directement le sujet, si curieux, et si peu connu, dont cet article est l’objet.

« Parmi les usages caractéristiques des Jivaros, dit M. Hamy, il en est un qui est commun à presque tous les Guaranis : c’est celui qui consiste dans la fabrication, à l’aide de procédés encore mal connus, de ces hideuses conserves de têtes, que l’on commence à voir en certain nombre, dans les musées ethnographiques européens. Du Para et de Cumaua à la Cordillère, tous les sauvages guaranis confectionnent avec le chef des ennemis vaincus des trophées ornementés de plumes, de peaux d’oiseaux, etc., et qui ne diffèrent entre eux que par des détails de préparation. Cajas, Mauhès, Mondurucus, Gentios Bravos, etc., conservent, à leur façon, le souvenir de leurs victoires. Et ce sont les dépouilles opimes préparées d’une manière un peu différente par les Jivaros qui ont le plus contribué à faire connaître cette farouche famille indienne. Déjà, au dernier siècle, Manuel Sobreviela avait remarqué que les sauvages qu’il venait de visiter dans le Pérou oriental « font bouillir la tête de leurs ennemis. Ils en détachent ensuite la peau, qu’ils empaillent et font sécher à la fumée pour en former un masque. Les dents leur servent à faire des colliers, et ils suspendent les crânes au toit de leurs habitations. » Il ajoutait qu’à un jour fixé on célèbre les victoires de la tribu avec la plus grande pompe dans la maison du cacique, et que les garçons viennent à la fête tenant par les cheveux les masques dont il a parlé.

« Ce sont ces masques, ou plutôt ces peaux de la face et du crâne séparées des os qu’elles recouvrent, qui, transportées en Europe, ont principalement attiré l’attention des ethnographes sur les Indiens, jusqu’alors ignorés, du Maranon. Le P. Pozzi nous apprend qu’une tête semblable à celles que nous allons décrire s’est vendue à Paris comme une curiosité au prix énorme de 1 500 francs, il y a une huitaine d’années.

« Les têtes préparées par les Jivaros sont aujourd’hui moins rares et moins recherchées : nos collections en renferment jusqu’à trois spécimens, et l’on nous en signale deux autres en Angleterre. La première, envoyée en 1861 par M. Cassola à M. W. Bollaert, se trouve sommairement décrite dans les Transactions de la Société ethnologique de Londres ; elle venait d’une hutte des rives de la Pastassa, et l’on supposa que c’était une tête de chef ennemi, « portée comme un talisman dans les combats. » Les téguments détachés des os formaient une petite tête qui paraissait réduite au quart de son volume primitif. Une corde était fixée au sommet de la tête ; une autre était passée dans les lèvres perforées et pendait par devant. Les oreilles étaient percées et les narines réunies étaient remplies de résine noire. M. R. Owen émit l’opinion que c’était le tannage de la peau qui avait amené la réduction de volume. M. Bollaert inclinait vers la dessiccation devant le feu sur un moule d’argile.

« Un second échantillon de l’industrie taxidermique des Jivaros, décrit par M. Barriero, a été montré à l’Exposition universelle de Londres de 1862, par don R. de Silva Ferro ; il venait d’une tribu que M. Barriero nomme Tambo ou Tumba. M. Barriero a fourni à propos de cette pièce des détails intéressants sur l’agent de la dessiccation (une pierre chauffée au feu et introduite dans la peau de la tête), sur la fête du triomphe, sur les superstitions qui s’attachent à la possession de ce genre de trophée ou chancha, transformé, dit l’auteur, en idole, en oracle, en talisman quand il vient d’un guerrier renommé par sa bravoure[1]. »

Nous devons mentionner une autre tête envoyée de l’Equateur au Muséum en 1864, par M. Fabre consul général. Elle est l’œuvre de Jivaros appelés Jambas, et a montré que, ces têtes réduites, sont bien entières et qu’elles sont dues à des procédés particuliers.

Le caractère saillant de ces préparations est leur extraordinaire réduction. Notre gravure représente en vraie grandeur, un échantillon non moins remarquable que celui de M. Fabre ; c’est une tête due au P. Pozzi ; elle a été préparée par les Jivaros ; nous l’avons fait dessiner d’après nature dans les galeries d’anatomie comparée du Muséum d’histoire naturelle, afin de reproduire fidèlement le hideux aspect de ce tannage monstrueux. C’est probablement en effet, par un certain mode de tannage, que les Jivaros, après avoir désossé et vidé la tête, arrivent à lui donner un volume, qui n’excède guère celui d’une orange. Chose singulière, ces conserves, laissent aux traits leur forme première, elles les réduisent sans changer le rapport des proportions primitives.

La tête ci-contre dont la circonférence horizontale ne dépasse pas 0m,25, porte de longs cheveux noirs, qui atteignent une longueur de 0m,65. Les sourcils, noirs sont bien plantés, la peau d’un brun fauve, est brillante, comme du cuir ciré. La victime a un peu de barbe qui forme une petite moustache. Deux orifices percés dans le vertex servent à passer une cordelette destinée à suspendre l’horrible tête en miniature. Au-dessous de cet échantillon, on voit au Muséum, la couronne en paille tressée qui ceignait la tête de son vivant : cette couronne ornée de plumes, noires, rouges et jaunes, mesure 0m,56 de circonférence. La courbe dans la réduction opérée par le procédé taxidermique a donc diminué de 56 pour 100.

Grâce aux documents communiqués par le P. Louis Pozzi, on sait aujourd’hui « que les têtes préparées

  1. Nouveaux renseignements sur les Indiens Jivaros, par M. E. T. Hamy. — Revue d’anthropologie.