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LA NATURE.

LA PHOTOGLYPTIE

Quand l’immortel auteur de l’Astronomie populaire aperçut pour la première fois une plaque daguerrienne, il ne trouva pas d’expressions assez vives pour peindre l’admiration que suscitait en son grand esprit l’apparition de la photographie naissante. Il faut relire les pages qu’Arago a écrites sur cet art à son berceau pour se représenter la puissance de son intuition prodigieuse, qui lui permet de décrire non-seulement le fait du présent, mais de parler des conséquences qui en dériveront dans l’avenir. S’il vivait encore, l’historien et l’apologiste de la guerre, il ne manquerait pas de marquer du doigt cette transformation merveilleuse de la photographie que l’on nomme aujourd’hui photoglyptie, et dont le public est appelé à voir chaque jour les productions, sans soupçonner qu’il a sous les yeux une invention étonnante, qui a nécessité des travaux assidus, des observations innombrables, des miracles de persévérance et de ténacité.

Un grand nombre d’épreuves photographiques que nous voyons exposées actuellement chez les libraires et les papetiers, sont tirées à la presse, comme on le ferait pour des lithographies ou des gravures en taille douce, et le résultat du tirage est tout à fait semblable à l’épreuve photographique ordinaire, imprimée par l’action du soleil sur le papier sensibilisé.

La photoglyptie telle qu’elle existe, est née en Angleterre. C’est M. Woodbury, qui en est le véritable auteur ; toutefois le principe originel est dû à un Français, à un chercheur distingué, M. Poitevin, qui est sans contredit un des plus grands photographes des temps modernes. Ce savant émérite avait reconnu que la gélatine imbibée de bichromate de potasse a la propriété de devenir insoluble dans l’eau, même sous l’action de la chaleur, quand elle a subi l’action d’un rayon lumineux. Ou conçoit donc que si l’on place une mince lame de gélatine biebromatisée et imbibée de charbon, derrière un cliché négatif, la lumière agira sur la gélatine en traversant les parties claires du cliché, et qu’elle rendra insoluble dans l’eau les parties qui doivent représenter les ombres. Après l’insolation, l’eau dissout les parties de la plaque de gélatine non insolée, et les parties soumises à l’action de la lumière, devenues insolubles, sont persistantes et forment l’image que l’on veut reproduire. Cette réaction aussi simple que merveilleuse est la base de la photographie au charbon. Entre les mains de M. Woodbury elle a créé tout un art nouveau, comme nous allons le voir.

M. Goupil a acheté les procédés du savant anglais, et c’est à lui que l’on doit la première organisation d’un atelier photoglyptique ; nous allons facilement faire comprendre les opérations qui s’y exécutent maintenant que nous en connaissons les bases fondamentales.

Ou prend un cliché négatif sur verre, représentant un objet quelconque, le tableau d’un de nos grands maîtres par « temple. On y applique une pellicule de gélatine imbibée do bichromate de potasse, et l’on place le tout dans un châssis-presse, que l’on expose au soleil, comme si l’on voulait obtenir une épreuve positive sur papier. Après une insolation de quinze à vingt minutes, le miracle est accompli. La pellicule de gélatine se serait tout à l’heure entièrement di-soute dans l’eau tiède ; maintenant, elle a subi une modification particulière : les parties touchées par la lumière, celles qui se trouvent sous les clairs du négatif, sont insolubles, et les rayons solaires ont agi avec une énergie d’autant plus grande qu’ils ont traversé une partie plus transparente du négatif : leur action est, en un mot, proportionnelle à l’opacité plus ou moins grande du cliché, opacité due aux ombres et au demi-clair. Après l’impression lumineuse, on transporte le châssis-presse dans une chambre noire, on détache délicatement la feuille de gélatine du cliché de verre contre lequel elle est adhérente ; on l’applique sur une plaque de verre enduite d’un vernis de caoutchouc, et on plonge le tout dans un récipient rempli d’eau tiède qui se renouvelle méthodiquement et qui dissout les portions de la feuille que la lumière n’a pas atteintes. Cette opération est assez longue et dure environ vingt-quatre heures. Passé ce temps on retire du bain la feuille de gélatine singulièrement amincie ; au la détache de son support de verre enduit de caoutchouc. Si on la regarde par transparence, on retrouve l’image fidèle du cliché ; les ombres sont en creux, les parties claires forment saillie. En un mot, le cliché photographique est reproduit en relief.

On voit, que jusqu’ici la méthode ne diffère pas sensiblement de celle de Poitevin, dont nous avons parle précédemment. Mais le miracle va commencer. On sèche la feuille de gélatine, et on la transporte près d’une presse hydraulique puissante. On la pose d’abord sur une plaque d’acier cerclée de 1er, puis on place au-dessous nue lame de plomb allié d’antimoine. La feuille de gélatine, où le cliché est gravé eu creux et en relief, se trouve entre deux surfaces métalliques ; l’une en acier, qui sert de support, l’autre en plomb, beaucoup plus mou. Dans ces conditions, elle est soumise à une prussiou formidable qui équivaut à un poids de plus de 300, 000 kilogrammes. Cette feuille de gélatine, direz-vous, va être brisée, écrasée sous la pression.

Nullement ; elle va agir à froid comme le coin de la monnaie qui frappe une pièce de cent sous ; quoique friable, elle est dure, résistante, plus dure que le plomb ; elle va pénétrer dans ce métal : ses reliefs vont s’y incruster. En effet, au sortir de la presse, la lame de plomb est enlevée, et l’on voit, non sans une véritable stupéfaction, quand on n’est pas encore initié à ce système, que la lame de gélatine y a creusé ses saillies. Le cliché primitif se trouve gravé sur la plaque de plomb ; le métal reproduit exactement les creux et les saillies de la feuille de gélatine.

La plaque de plomb est placée maintenant dans une