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LA NATURE

les autres que le tout constitue un véritable lumachelle.

À Han-les-Malades, se présentent, toujours dans le terrain dévonien, les épaisses assises du schiste à calcéoles. Les calcéoles (calceola sandalina) sont des coquilles dont la forme ressemble assez, comme le dit leur nom, et même avec redondance, à celle d’une chaussure. Elles appartiennent comme les productus, les spirifer, etc., à la grande division des mollusques brachiopodes, mais elles caractérisent un étage tout particulier. Après des recherches assidues, nous sommes assez heureux pour trouver plusieurs spécimens parfaitement conservés. En même temps, nous recueillons un très-grand nombre de polypiers (cyatophyllum, etc.), et diverses coquilles.

Sur un coteau du voisinage se dressent les ruines du château d’Hierges, incendié en 1793 par les habitants de Givet, le maire en tête.

Après une marche assez longue nous arrivons à Givet. La première chose qui frappe la vue est l’immense escarpement des carrières de marbre du mont d’Or. La roche qu’on y exploite, connue sous le nom de calcaire de Givet, appartient à la partie supérieure du terrain dévonien et ressemble tout à fait aux marbres un peu plus récents du terrain carbonifère. C’est une pierre noire avec des veines blanches, susceptible d’un très-beau poli, mais plus propre à la construction des monuments funèbres qu’à celle de l’habitation des vivants : aussi les maisons de Givet, qui en sont faites, ressemblent-elles assez bien à des concessions à perpétuité et la ville à un cimetière.

Mais tout est relatif et cette ville est le paradis aux yeux des habitants de Charlemont.

Charlemont, qui domine immédiatement Givet, est entièrement entouré de fortifications. Un escarpement à pic l’en sépare, et l’on se demande comment l’autorité a pu juger nécessaire d’ajouter à l’impossibilité de l’ascension une défense d’escalade : c’est peut-être pour être sûre d’être une fois obéie.

Vauban a fait construire les fortifications de Charlemont et en même temps la caserne qui est en bas de la montagne, et qui ayant trois cents mètres de long, est sans doute la plus grande de France. À cette époque, la ville était peuplée et florissante ; mais depuis, soit ennui de se voir enfermés, soit désir de prendre part à l’activité croissante de Givet, les habitants se sont peu à peu déplacés et Charlemont a été abandonné au profit de Givet. Aujourd’hui, c’est à peine si la population s’élève à 150 personnes qui errent dans les longues rues désertes, dont le pavé disparaît sous les herbes. Les maisons bâties en marbre défient les injures du temps et leur conservation fait d’autant mieux ressortir leur vide ; il semble qu’une effroyable épidémie ait subitement enlevé toute la population ou que celle-ci, sous l’influence d’un charme magique, se soit endormie comme les personnages du conte de fées.

Du haut de Charlemont, la vue s’étend fort loin du côté de la Belgique ; elle est très-belle.

En redescendant, on trouve les schistes de la Famenne, ainsi nommés delà province belge toute voisine, et qui contiennent beaucoup de fossiles dévoniens dont quelques-uns, des céphalopodes, appartenant aux genres orthocératites et goniatites, sont pyritisés et d’une conservation admirable.

C’est par ces trouvailles que se termine dignement une excursion dont l’intérêt a été de plus d’un genre et qui a fait naître, dans l’esprit de ceux qui y ont pris part, le désir de recommencer, dans quelque autre direction et sous la même conduite savante, une expédition analogue.

Stanislas Meunier

LE GULF-STREAM

Quoiqu’on ait déjà beaucoup écrit sur le Gulf-Stream, il ne manque pas de renseignements nouveaux et peu connus à donner sur ce fleuve océanique. C’est ce que nous entreprenons aujourd’hui, croyant devoir cependant rappeler succinctement les particularités les plus remarquables du plus puissant des grands courants de la mer. Le Gulf-Stream, comme on le sait, a son origine dans le golfe du Mexique, d’où il sort par le canal de la Floride.

À partir de la Floride, il se dirige d’abord au N.-E., puis se sépare en deux branches, dont l’une court vers le S.-E., tandis que l’autre dépasse Terre-Neuve, traverse l’Atlantique, et va réchauffer les côtes de l’Europe occidentale. Le changement de température des eaux de l’Océan dans les différentes saisons imprime au Gulf-Stream un mouvement d’oscillation, tantôt vers le nord, et tantôt vers le sud. Ainsi, en hiver, sur le méridien du cap Raze, la limite nord du courant se trouve vers le parallèle de 40° à 41°, et en septembre, quand la mer atteint son maximum de chaleur, vers 45° ou 46°. Lorsque les températures de l’hiver ou de l’été sont exceptionnelles, le lit du Gulf-Stream doit remonter ou descendre plus que d’ordinaire, et, comme on l’ajustement observé, la prévision de ces changements pourrait donner quelques règles applicables à la pêche de la morue, qui, comme la plupart des poissons, cherche de préférence les eaux fraîches, dans lesquelles sont établies les meilleures pêcheries. On sait d’ailleurs que l’existence du Gulf-Stream fut d’abord révélée par la constance avec laquelle la baleine franche évitait la chaleur de ses eaux.

L’action de ce grand courant sur le climat de l’Europe est due plutôt à l’énorme masse d’eau tiède qu’il entraîne qu’à sa température élevée. Dans son rapport sur les recherches scientifiques faites à bord du Shearwater, en août, septembre et octobre 1871, un éminent naturaliste, M. W.-B. Carpenter a reproduit des coupes obtenues en différents points du Gulf-Stream, en donnant les lignes isothermes à diverses profondeurs. On voit ces lignes suivre les courbes du fond de la mer, au lieu d’être parallèles à sa surface, indiquant ainsi l’existence du con-