Page:La Nature, 1874, S1.djvu/154

Cette page n’a pas encore été corrigée
150
LA NATURE

phies représentant des sujets indéterminés jusqu’ici.

Nous avons choisi dans ces dernières les espèces nouvelles de coquillages, qui ont été groupées dans la figure ci-contre. La gravure, impuissante à reproduire la vigueur des tons et la richesse du coloris, les offre néanmoins tels qu’ils sont, dans toute la rigueur de leurs formes.

Il est à remarquer que plusieurs de ces espèces de coquillages trouvés aux antipodes ont un caractère identique avec celles qui peuplent les mers d’Europe. Ce qui permettrait de supposer ou que les espèces animales ont fait leur apparition par groupes, dans des centres de création, ou que les types se transforment et dégénèrent ; mais aussi plusieurs ne sont que des formes embryonnaires de types plus parfaits. C’est ainsi que les Astrées ressemblent en naissant à des Actinies, puis à des Turbinolies et aussi à des Fongies, jusqu’à ce qu’elles arrivent à leur état définitif et permanent.

Les coquillages ne sont donc pas un objet de simple curiosité pour l’amateur d’histoire naturelle ; ils servent à reconstituer l’histoire de la terre ; ils sont, pour le géologue, ce que les médailles sont pour l’antiquaire, par les sujets de comparaison qu’ils offrent des différentes époques de la formation de la croûte terrestre. Ces repères de la géologie nous permettent de lire au grand livre de pierre qui s’offre partout à nos regards.

J. Girard.

LES FRÈRES SIAMOIS.

Chang et Eng Bunker, les deux Frères siamois, dont la réputation était universelle, viennent de mourir aux États-Unis à l’âge de 65 ans. Ils étaient nés à Siam, leur père était originaire de leur pays natal, leur mère était Chinoise. Contrairement à Millie et Christine, qui sont soudées l’une à l’autre, ils étaient réunis par un véritable pont de chair allant de l’épigastre de l’un à l’épigastre de l’autre. Ce lien avait à peu près 20 centimètres de circonférence, et il était assez long pour que les deux jumeaux passent se placer de trois quarts, l’un par rapport à l’autre. Il nous paraît intéressant de résumer la description d’un des monstres les plus curieux qui ait jamais existé. Nous le ferons en empruntant à M. de Parville l’excellent tableau qu’il en a donné il y a quelques années.

L’ombilic était unique pour les deux Siamois, il se trouvait au-dessous et au milieu du pont. Après la naissance, les deux frères se plaçaient à peu près face à face ; c’est en grandissant, et pour plus de commodité, qu’ils ont peu à peu obligé leur lien à s’allonger de façon à pouvoir prendre l’un par rapport à l’autre une position moins gênante. L’un d’eux avait le bras gauche disposé pendant la marche derrière son frère, et l’autre croisait son bras droit derrière celui-ci. Les deux autres bras qui n’étaient pas gênés par le pont occupaient la position normale.

Dans leur jeunesse, Eng et Chang laissaient les deux bras qui touchaient au pont de chair à peu près inactifs ; aussi étaient-ils presque atrophiés faute d’exercice. Depuis ils s’étaient habitués à se servir de leurs quatre mains, et les quatre membres avaient repris peu à peu le même volume.

De même, les deux yeux qui se regardaient étaient affaiblis. Les deux jambes de derrière étaient plus grêles. Pendant la marche, elles ne faisaient guère que de seconder les efforts des jambes antérieures et de maintenir l’équilibre.

On peut donc conclure de l’examen des deux Siamois que le côté droit de l’un était en tout assimilable au côté gauche de l’autre, si bien que, s’ils avaient été séparés, on était en droit de se demander comment l’un d’eux isolément aurait pu marcher sans béquilles, bien voir, ou enfin convenablement équilibrer tous ses actes.

Lorsque l’on touchait les deux frères au-dessous du pont de chair, vers le milieu, ils ressentaient en même temps l’impression tactile. La sensation se divisait. Il est certain que les filets nerveux sensitifs émanés du cerveau des deux frères devaient se croiser en ce point. Leur sang se mêlait aussi là, mais seulement par l’intermédiaire de vaisseaux extrêmement déliés.

Chang et Eng ont été consulter à Londres sir William Fergusson. Ce savant chirurgien a reconnu qu’il n’existe dans ce pont de chair aucun vaisseau un peu notable. Cependant, les deux Siamois ont eu en même temps plusieurs maladies qui ne dépendaient que de causes extérieures. Ils ont eu la petite vérole, la rougeole, et une fièvre intermittente, dont chaque accès les prenait tous les deux aux mêmes instants.

Malgré ces maladies communes et cette sensibilité mixte en un même point de la peau, Chang et Eng n’en constituaient pas moins deux personnalités parfaitement distinctes au physique et au moral. Il pouvait y avoir transmission des germes de maladie par le pont, du sang de l’un dans le sang de l’autre, mais absolument comme le fait pourrait se produire pour deux individus quelconques.

Au point de vue anatomique comme au point de vue physiologique, les deux Siamois présentaient des différences parfaitement tranchées. Ainsi Eng était sensiblement plus grand, mais de plus, son pouls était un peu plus lent que celui de Chang. De même, Chang, qui était plus petit, avait le cœur un peu plus faible ; il offrait quelques traces de sénilité organique ; anatomiquement, il était enfin plus vieux que son frère.

Il y avait d’ailleurs indépendance absolue entre les deux jumeaux pour les fonctions du corps et celles de l’esprit. C’étaient bien deux individus complets. Par tempérament et par habitude et sans doute par suite d’une action physiologique qui avait ses analogies, les deux frères avaient en même temps les mêmes idées. Ils étaient absolument comme deux instruments accordés à l’unisson. La pensée qui venait à l’un aurait pu être cultivée par l’autre. Ils pensaient