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LA NATURE

ce point qu’un grave conflit s’est élevé au sein de la Société astronomique de Londres ; Sir George Airy a démontré que les observations polaires australes seraient inutiles en 1874 et très-fructueuses au contraire en 1882. Loin de partager ces idées M. Tracter a essayé d’établir que ces observations australes étaient urgentes pour 1874 et tout à fait insignifiantes pour 1882.

M. Proctor, écrivain jeune, ardent, doué d’un style vif et d’une grande imagination, parvint à modifier graduellement l’opinion du gouvernement et de l’amirauté, en ce sens qu’il a diminué l’opposition aux observations australes pour 1874.

Sir George Airy, le savant directeur de Greenwich, admit la possibilité théorique de l’expédition pour 1874 à condition qu’elle fut possible pratiquement. Or le climat est détestable comme on le sait dans les hautes latitudes australes et il est à craindre qu’une expédition astronomique dans ces régions inhospitalières n’aboutisse à un échec complet.

Pour mettre un terme honorable à ces hésitations il a été décidé que le Challenger irait faire une campagne d’explorations dont les résultats seraient décisifs. On ne tardera point à recevoir au moins un sommaire télégraphique de cette partie essentielle du grand voyage, puisqu’on attend le Challenger à Sidney d’un moment à l’autre.

Mais ce succès relatif ne paraît pas avoir satisfait M. Proctor qui est actuellement aux États-Unis, où il donne une série de conférences.

Le savant astronome a publié avant son départ dans les Monthly notices de la Société astronomique une attaque très-virulente contre ses adversaires scientifiques, et il a englobé dans ses critiques, l’honorable M. Warren de la Rue.

Non content d’avoir lancé cette flèche de Parthe, il revient à la charge dans une lettre datée de New-York et insérée dans le Times du 30 décembre 1873.

Dans ce factum, M. Proctor met en cause M. Warren de la Rue, d’une façon tout à fait imprévue. Il lui fait un crime d’avoir demandé au gouvernement des fonds, afin d’établir un observatoire physique destiné à l’étude des taches du soleil et de leur rapport avec les températures terrestres.

Sur ce terrain nouveau il est probable que M. Proctor ne trouvera aucun appui, car l’influence de l’état de la surface solaire sur les vicissitudes de nos saisons ne saurait être niée par aucun physicien ni aucun astronome.

L’opinion de M. de la Rue n’a pour ainsi dire pas besoin d’être défendue après les derniers travaux de Donati et nous ne signalerions point à nos lecteurs ces regrettables excès de polémique s’ils ne nous fournissaient une occasion de les tenir au courant de ce qui s’exécute de l’autre côté du détroit.

Un savant des plus estimables et des plus zélés pour le progrès des sciences, le lieutenant-colonel Strange, directeur de l’Observatoire du gouvernement anglo-indien, à Londres, publia il y a quelque temps un magnifique pamphlet sur l’insuffisance des observatoires britanniques, et émit les propositions pour lesquelles M. Proctor fait une guerre si injuste et si violente à M. Warren de la Rue. Grâce à l’intelligent et sympathique appui de cet honorable astronome, les projets de M. le colonel Strange ont été adoptés par le bureau de l’observatoire de Greenwich, et par le Sénat de l’université d’Oxford. De grands travaux s’exécutent actuellement pour donner à l’astronomie moderne les moyens d’investigations dont elle ne saurait dorénavant se passer dans le vénérable établissement que Sir George dirige avec tant de talent. En même temps, un magnifique observatoire d’astronomie physique se construit à Oxford dans le parc de l’université. Les travaux sont poussés si activement que M. Proctor les trouvera terminés pour peu qu’il prolonge son séjour de l’autre côté de l’Atlantique.

Ce n’est pas la première fois que l’astronomie physique rencontre en Angleterre une opposition aussi dangereuse que peu justifiée, mais cette fois le triomphe est complet : nous voudrions pouvoir dire qu’il en est de même en France. Mais hélas ! en matière scientifique du moins, nous ne sommes pas près de voir enfin supprimer la Manche.

Ajoutons que les savants yankees ne resteront pas en retard sur leurs confrères d’Angleterre dans la question de l’étude clés taches solaires au point de vue de la météorologie. Car le but des travaux auxquels donne lieu cette science si populaire aux États-Unis est évidemment de trouver quelque principe qui permettra enfin, de réunir tant d’observations éparses, n’ayant encore aucun lien commun.


AGASSIZ EN AMÉRIQUE[1]

Un certain nombre de journaux américains prétendent qu’Agassiz avait une mission du gouvernement prussien, lorsqu’il traversa l’Atlantique. Cette version flatterait naturellement les savants de Berlin. Mais il n’est pas vrai de dire qu’Agassiz travaillait à cette époque pour Sa Majesté le roi de Prusse quoiqu’il n’eût point encore donné sa démission de professeur de l’Académie de Neuchâtel, et que de son côté le roi de Prusse n’eût point donné sa démission de prince. Il tenait tellement à son titre que, sept à huit ans plus tard, il devait menacer de guerre la Confédération, pour contraindre ses sujets, qui ne comprenaient point tous les avantages qu’il y avait à appartenir à un aussi grand monarque.

Quand Agassiz arriva à Boston, en 1846, c’était pour donner une série de conférences à l’institution Lowell, fondée en 1835 par le citoyen américain de ce nom, mort à Bombay quelques années auparavant. Fidèle à une habitude que les opulents américains pratiquent avec une générosité tout à fait inconnue aux princes d’Europe, M. Lowell avait des-

  1. Voy. Agassiz en Europe, p. 91.