Page:La Nature, 1874, S1.djvu/136

Cette page n’a pas encore été corrigée
132
LA NATURE

A première vue, on se croirait en présence de bancs de calcaire ; mais il n’en est rien : la roche qui se présente offre un double intérêt scientifique et industriel. Elle porte le nom de gaise et consiste presque exclusivement en silice libre et soluble dans les lessives alcalines. Cette roche siliceuse, très-poreuse et par conséquent très-légère a été utilisée, à la suite des recherches de MM. Sauvage et Henri Sainte-Claire Deville, pour la fabrication de briques extrêmement réfractaires ; mais plus récemment, M. Nivoit lui a trouvé un emploi beaucoup plus important. Cet ingénieur distingué a reconnu, en effet, que la gaise oxfordienne est tout à fait propre à la fabrication de la dynamite, c’est-à-dire qu’elle s’imprègne de nitro-glycérine pour devenir cette poudre à la fois si puissante et d’un maniement si commode dont l’usage se répand chaque jour davantage.

La belle carrière de Launois nous donne beaucoup de fossiles tels que des modioles, et c’est à grand’ peine que nous nous en arrachons pour prendre le train qui nous conduit à Charleville.

Le lendemain, dès le matin, nous gravissons le mont Olympe, qui domine Charleville. Il est entièrement formé de schiste silurien d’une couleur rougeâtre en feuillets presque verticaux et supportant çà et là de petits lambeaux de terrain liasique. Le schiste est ici dépourvu de fossiles ; la roche liasique consiste surtout en poudingue, ce qui, par comparaison avec ce qui se passe de nos jours, conduit à penser qu’elle indique le littoral de la mer antique où elle s’est formée. Après avoir admiré le magnifique panorama dont on jouit sur la hauteur, nous redescendons le long de la Meuse, pour visiter une grande carrière ouverte dans le lias. On y exploite ce calcaire caractéristique d’une nuance bleuâtre passant par place au jaune et tout pétri de gryphées arquées, qui d’abord a reçu seul des carriers anglais le nom de lias. La gryphée arquée se retrouve en abondance, libre et par conséquent plus précieuse pour le paléontologiste, dans les couches de marnes qui alternent avec les assises de pierre. Le calcaire de cette carrière est surtout utilisé pour la fabrication d’une chaux hydraulique d’excellente qualité. Par places, la marne contient des cristaux de gypse ou pierre à plâtre.

En nous dirigeant vers Saint-Laurent et Romery, nous nous élevons un peu dans l’échelle stratigraphique. Dans ces localités se montre en effet le calcaire à gryphœa cymbium. Il est en couches minces alternant de la manière la plus remarquablement régulière avec des couches de sable d’épaisseur analogue et n’offrant aucune trace de ciment. Cette alternance si souvent répétée sur une même verticale de deux formations si différentes est très-difficile à expliquer et se présente très-fréquemment dans des étages variés. Quoi qu’il en soit, la carrière de Romery fournit un très-grand nombre de beaux fossiles, de gigantesques ammonites et de belles turritelles longues comme la main. On y voit aussi des veinules de calcaire cristallisé sous cette forme assez rare que les cristallographes et les géomètres appellent le scalénoèdre.

Pour revenir à Mézières, il faut traverser le village du Theux, offrant cette singularité d’être à cheval sur les deux communes de Mézières et de Saint-Laurent. Le bureau d’octroi est au milieu de la rue et il faut payer un droit pour porter une bouteille de vin de telle maison à celle qui la touche. Les enfants de chaumières mitoyennes vont à deux écoles distantes de plusieurs kilomètres. C’est peut-être à cause de l’éloignement des mairies que les publications de mariage se font sur le volet des cabarets.

Fig. 1 et 2. — Ammonite et pomme de pin fossile.

A Mézières, M. Nivoit nous fait visiter, à la préfecture, la belle collection qu’il a réunie des terrains, des fossiles et des roches du département. Nous y voyons au moins, ceux des fossiles que nous n’avons pas été assez heureux pour trouver nous-mêmes. Beaucoup d’échantillons offrent cet intérêt particulier d’avoir servi à MM. Sauvage et Buviguier pour rédiger leur description géologique des Ardennes. Au moment de notre visite, on venait d’apporter à cet intéressant musée, une magnifique molaire d’éléphant trouvée dans le diluvium de la Meuse. A côté de la salle des collections, se trouvent les laboratoires où M. Nivoit exécute ses travaux minéralogiques et chimiques. Des fenêtres, on a sur la Meuse et les montagnes voisines une des plus belles vues qu’on puisse imaginer.

Rentrés à Charleville, nous prenons le train qui, bientôt après nous dépose à Monthermé. Immédiatement avant la station, un tunnel traverse la quadruple croupe de montagne désignée sous le nom des