Page:La Nature, 1873.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
LA NATURE.

demment conduire (d’après l’idée qu’on avait de leur origine) à aucune donnée générale.

Mais, dans ces dernières années, l’étude, comprise d’une manière nouvelle, des pierres extra-terrestres, a démontré l’inexactitude des hypothèses rapportées plus haut, hypothèses dont il semble qu’on eût dû se méfier à cause de leur peu d’accord avec la majestueuse harmonie qui règle toute chose.

Cette étude a montré dans ces visiteurs célestes le dernier terme de l’évolution normale dont les astres traversent les phases successives, exactement comme les êtres animés fournissent les diverses étapes de leur développement. Et, de même que la mort et la décomposition d’un animal n’a rien de fortuit, de même, comme nous le verrons plus loin, la résolution d’un astre en météorites n’a rien qui contraste avec les grandes lignes, à nous connues jusqu’ici, de l’économie du ciel.

D’un autre côté, par l’étude des météorites, une foule de grands phénomènes présentés par les divers astres se sont trouvés reliés entre eux, et elle a permis d’ébaucher, en attendant que l’on puisse faire davantage, l’histoire de chacun de ces corps célestes. La terre, qui jusqu’ici avait seule donné prise à l’examen des phases qu’un globe peut traverser, n’est plus qu’un cas particulier dans une nombreuse série, et son histoire à elle-même, spécialement en ce qui touche son avenir, s’est subitement éclairée d’une lumière aussi vive qu’inattendue.

De façon qu’à côté de la géologie descriptive, seule connue jusqu’ici, est venue se constituer une géologie comparée.

Les circonstances qui accompagnent la chute des pierres sont remarquablement uniformes. On peut décrire le phénomène d’une manière générale sans avoir de changement notable à faire à la description pour qu’elle s’applique à chaque chute prise en particulier. C’est toujours un globe de feu qui traverse rapidement l’atmosphère, éclate avec un grand fracas, et laisse tomber sur le sol un nombre plus ou moins considérable de fragments solides.

Le globe de feu, dont l’arrivée constitue la première phase du phénomène, est souvent appelé bolide. Dans certains cas, ce météore n’a pas été aperçu, mais on peut croire que sa présence était simplement dissimulée, soit par l’interposition d’une couche de nuages, soit par le voisinage du soleil qui en éteignait l’éclat. Dans les conditions favorables, c’est-à-dire par de belles nuits, l’éclat des globes de feu est souvent remarquable ; il n’est pas rare que la lumière de la lune dans son plein en soit complètement effacée. La couleur des bolides est d’ailleurs variable, tantôt rouge, tantôt blanche et tantôt changeante. Leur grosseur apparente, très-inégale pour tous, est parfois supérieure à celle de la lune, et leur hauteur, qu’on a pu mesurer quelquefois, est comparable à celle qu’on attribue à la couche atmosphérique.

Les bolides suivent une trajectoire très-inclinée et souvent sensiblement horizontale, avec une vitesse en disproportion absolue avec toutes celles que nous observons sur la terre. Les 30 à 60 kilomètres qu’ils parcourent à la seconde suffisent à montrer qu’ils appartiennent à la grande famille des corps planétaires. On sait que Mars franchit 24 kilomètres par seconde et Mercure 48.

Dans leur marche rapide, les bolides, comme font les locomotives, laissent derrière eux une traînée vaporeuse qui souvent persiste dans l’atmosphère pendant un temps considérable. La gravure ci-jointe montre, d’après un dessin exécuté avec le plus grand soin, l’aspect offert par le bolide qui précéda la chute de météorites de Quenngouck (Indes), le 27 décembre 1857, et permet d’apprécier par comparaison avec le village de Bassein figuré au-dessous, le volume du météore. Ce dessin exécuté par le lieutenant Aylesbury, témoin du phénomène, a été reproduit par l’illustre de Haidinger dans son étude sur la chute de Quenngouck.

Après avoir parcouru une trajectoire plus ou moins étendue, le globe fait explosion et on le voit tout à coup se diviser en plusieurs éclats qui se précipitent dans diverses directions. Il faut souvent, à cause de la hauteur du bolide, plusieurs minutes pour que le bruit parvienne aux spectateurs ; il est alors formidable et en général il se fait entendre sur une très-grande étendue de pays. La chute de Laigle, citée plus haut, fut précédée d’explosions entendues à 120 kilomètres à la ronde, et celle d’Orgueil (14 mai 1864) fut perçue à plus de 360 kilomètres. D’ailleurs l’explosion est rarement simple ; souvent on entend deux ou trois détonations, et à leur suite des roulements plus ou moins forts se prolongent plus ou moins longtemps.

C’est après tout cet ensemble de phénomènes lumineux et sonores que des sifflements particuliers annoncent la chute des météorites. Les Chinois, qui connaissent ces sifflements depuis un temps immémorial, les comparent au bruissement des ailes des oies sauvages ou encore à celui d’une étoffe qu’on déchire ; le bruit, entendu de loin, d’un obus qui traverse l’air est également très-analogue.

Au moment de leur chute, les météorites sont d’ordinaire beaucoup trop chaudes pour qu’on puisse les toucher avec la main. Mais cette température élevée est tout à fait localisée à la surface.

L’intérieur est au contraire remarquablement froid. Lors de la chute de Dhurmsalla, dans l’Inde (14 juillet 1860), une pierre ayant été brisée presque aussitôt après son arrivée à terre, les témoins furent extrêmement surpris du froid intense de ses parties internes. Ce froid est celui qui règne dans l’espace interplanétaire où la pierre s’en est imprégnée.

Le nombre des météorites d’une même chute est extrêmement variable et va d’une seule pierre à plusieurs milliers. On estime que la chute de Pultusk, en Pologne (30 janvier 1868), a fourni cent mille pierres, chacune complètement enveloppée de son écorce noire et par conséquent entière.