Page:La Nature, 1873.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
LA NATURE.

Nous n’inventons rien ; voici comment, en 1768, s’exprimait l’immortel Lavoisier, au sujet d’une chute observée tout récemment dans le Maine, avec la plus vive émotion, par la population tout entière de Lucé : « L’opinion qui nous paraît la plus probable, celle qui cadre le mieux avec les principes reçus en physique, avec les faits rapportés par les témoins et avec nos propres expériences, c’est que cette pierre (un échantillon de la météorite) qui peut-être était couverte d’un peu de terre et de gazon, aura été frappée par la foudre et qu’elle aura été mise en évidence. » Convenons qu’il fallait avoir une bien grande confiance en soi et dans les principes reçus en physique, et bien peu de considération pour « les particuliers qui travaillaient à la récolte » (c’est ainsi que Lavoisier appelle les témoins du phénomène), pour s’arrêter à une telle conclusion.

Quoi qu’il en soit, l’Académie des sciences rejeta solennellement, comme absolument fausse, l’idée que des pierres pouvaient tomber du ciel, et son intolérance à cet égard devint telle, que Pictet, convaincu de la réalité du phénomène, eut besoin d’un véritable courage pour en parler en novembre 1802 devant le « premier corps savant du monde. »

Le verdict de l’Académie n’empêcha cependant pas les pierres de tomber et l’époque paraît même avoir été particulièrement fertile en chutes. Celles-ci se renouvelèrent si souvent que les savants allemands et anglais, grâce surtout aux travaux de Chladni et de Howard, s’étaient complètement convertis, alors que les académiciens français se renfermaient toujours dans une négation absolue.

Chute d’un bolide à Quenngouck (Indes).

Enfin, la chute observée en 1803 dans l’Orne, presque aux portes de Paris, contraignit pour ainsi dire, les savants à se mettre à l’école de simples paysans et l’on vit un membre de l’Institut, le jeune Biot, aller demander aux villageois des environs de Laigle de faire son éducation et celle de l’Académie sur un des chapitres les plus importants de la physique du monde.

Depuis cette époque, on admit généralement que des pierres et des masses de fer, étrangères à notre planète, peuvent tomber à la surface de la terre. Mais, conformément à ce que nous disions plus haut, on s’empressa de faire de la notion nouvelle un fait d’exception n’ajoutant et ne retranchant rien au système de lois naturelles que l’on regardait comme connues.

Selon certains savants, comme la Place et Poisson, les météorites seraient les produits d’éjection de volcans lunaires qui, sortis fortuitement de la sphère d’attraction de notre satellite, viendraient par un second hasard tomber sur notre sol ; — d’après d’autres physiciens, tels que Chladni, ce sont de simples résidus de la fabrication des mondes ; comme une manière de copeaux oubliés par le divin ouvrier qui n’a pas trouvé à s’en servir ; — selon d’autres enfin, parmi lesquels on peut citer M. Lawrence Smith et M. R.-P. Greg, ce seraient les débris d’astres dévoyés accidentellement de leurs orbites et qui se seraient brisés dans leur choc mutuel.

Dans tous les cas, les météorites sont dans ces hypothèses des témoignages du désordre qui règne dans l’univers et des imperfections dont il est entaché.

Aussi, pendant longtemps a-t-on cru ne devoir accorder aux pierres qui tombent du ciel qu’un intérêt de pure curiosité ; leur examen ne devant évi-