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LA NATURE.

velle impulsion à ces recherches. On eut bientôt acquis la preuve que le lit de l’Océan est formé par une couche de vase molle pleine de débris organiques et d’infusoires vivants, qui a reçu le nom d’oaze. Les sondes faites dans l’Atlantique révélèrent un grand nombre de faits intéressants relatifs à la géographie physique de la mer, et amenèrent la découverte du plateau télégraphique situé entre Terre-Neuve et l’Irlande, sur lequel a été posé depuis le câble transatlantique, suivant les indications de Maury.

Pendant le cours des travaux qu’il poursuivait ainsi avec une infatigable persévérance, il fut élu membre honoraire des principales académies et sociétés savantes de l’Europe. Sous son habile direction l’Observatoire de Washington ne cessait de contribuer au progrès des sciences, et prenait rang parmi les institutions les plus renommées du même ordre. Un grand ouvrage d’astronomie et d’autres travaux importants y étaient en préparation, lorsque la guerre de la sécession éclata. Lors de l’élection du président Lincoln, en 1860, Maury, qui se trouvait alors à Londres, avait prévu que cette élection amènerait de graves complications politiques, et il avait écrit de nombreuses lettres à ses amis, dans les différents États de l’Union, les conjurant de ne pas céder à des impulsions passionnées et de faire, au contraire, tous leurs efforts pour maintenir la paix. Mais ces sages conseils n’avaient pas été écoutés.

Après s’être prononcé pour le Sud, où était son pays natal, il se démit des fonctions qu’il remplissait à l’Observatoire de Washington, et se rendit à Richmond, dans la Virginie, d’où il passa peu de temps après en Angleterre. Il reçut alors de la France et de la Russie l’invitation de venir continuer, dans la position la plus honorable, les utiles travaux que la guerre le forçait d’interrompre. Mais il dut refuser, en exprimant toute sa reconnaissance pour ces offres hospitalières, et rester au service de son pays.

Pendant son séjour en Europe, il prépara sur la demande qui lui en avait été faite, et publia à Londres un ouvrage élémentaire de géographie physique[1] pour le fils du grand-duc Constantin et son cousin Alexis, tous deux alors écoliers, ouvrage qui fut traduit pour servir à l’enseignement dans les écoles de la Russie. C’est durant la même période qu’il publia aussi à Londres ses Premières leçons de géographie[2], traduites en plusieurs langues, comme la Géographie physique. Le succès de ces petits volumes est dû à l’emploi d’une méthode attrayante, autant qu’à la simplicité, à la clarté du style, à la fraîcheur et à l’intérêt des descriptions.

En 1803, Maury revint en Amérique, et accepta la chaire de professeur de géographie physique et d’astronomie qui lui était offerte à l’Institut militaire de Lexington, dans la Virginie. Il occupait encore cette chaire, autour de laquelle se pressaient les étudiants pour entendre ses éloquentes leçons, quand la mort est venue le frapper, le 1er février dernier.

Il s’était très-activement occupé depuis deux ans d’un congrès international où se réuniraient les principaux agriculteurs et les plus éminents météorologistes des diverses contrées du globe. Il croyait avec raison qu’une telle assemblée serait pour l’agriculture ce qu’avait été la conférence de Bruxelles pour la marine, et compléterait l’œuvre alors commencée. Il désirait qu’on pût organiser un système général de recherches relatives à la prévision du caractère des saisons, aux avertissements télégraphiques du temps, et à la statistique des récoltes, organisation dont les résultats augmenteraient bientôt dans une grande proportion le bien-être de la famille humaine.

C’est au retour d’un congrès d’agriculture réuni à Saint-Louis en juin 1872, et dans lequel il avait prononcé un remarquable discours[3] sur la nouvelle conférence internationale dont il mettait en relief les nombreux avantages, que Maury, dont la santé était depuis longtemps affaiblie, sentit les premières atteintes du mal auquel il devait succomber. Peu de mois après, prévoyant sa fin prochaine, il fit appeler ceux de ses enfants qui étaient loin de lui, voulant être entouré de tous les siens au moment suprême. Il avait prié le médecin de le prévenir quand tout espoir serait perdu. Ses derniers jours furent consacrés à la prière et encore au travail. Il recommandait la prochaine réunion du congrès international de météorologie et d’agriculture ; il s’occupait de revoir ses petits livres pour les écoles, en encourageant sa femme bien-aimée et ses enfants à la résignation. Les lettres de son fils le colonel R. Maury, de sa fille aînée, sont pleines des plus touchants détails sur le calme affectueux, sur l’élévation d’âme, sur les pieux sentiments qui ne cessèrent de le soutenir jusqu’au dernier moment.

« Sa mort comme sa vie a été un bon exemple, nous écrit un de ses éminents collaborateurs et de ses meilleurs amis, le commandant Jansen[4]. Comme un vieux marin, enveloppé dans les plis de son drapeau, il envisageait la mort avec fermeté et soumission. Il savait que sa mission était remplie, et il attendait le mot d’ordre pour retourner vers la source d’où son génie émanait.

« Quelques instants avant sa mort il disait : « Est-ce que mes ancres chassent ?… Je suis prêt à mettre à la voile !… » Peu après il expirait.

« Son génie poétique lui suggérait de belles idées jusqu’au dernier moment. « Attendez le printemps, disait-il, pour conduire mes restes vers ma dernière demeure, quand les buissons seront en fleurs, et prenez la route par Goshen-Gap. Vous savez que je préférais cette route, et qu’en passant

  1. Géographie physique à L’usage de la jeunesse et des gens du monde (Collection Hetzel).
  2. Une traduction de ce dernier ouvrage est sous presse dans la collection Hetzel.
  3. Nous avons donné une traduction de ce discours dans l’Annuaire de la Société météorologique de France, t. XVIII.
  4. Capitaine de vaisseau de la marine royale hollandaise, représentant de la Hollande à la conférence de Bruxelles.