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LA NATURE.

la Norvège, la Suède et les États-Unis. Le but de cette conférence, présidée par le savant M. Quételet, directeur de l’Observatoire royal de Belgique, était de se mettre d’accord sur un mode uniforme d’observations nautiques et météorologiques, faites à bord des bâtiments de l’État. Maury, représentant des États-Unis, exposa à l’assemblée l’objet de sa mission, et mit en évidence les grands résultats qu’on pouvait espérer d’un système d’investigation étendu par les marins sur toute la surface de l’Océan, non-seulement pour le commerce, mais encore pour la science et pour l’humanité.

L’Angleterre, la Hollande et la Russie adoptèrent le système proposé par les États-Unis, et leur exemple fut peu après suivi par la plupart des gouvernements de l’Europe. Grâce à la facilité toujours croissante des relations internationales, cette association produisit en peu d’années les meilleurs résultats. Entouré de savants officiers, devenus ses collaborateurs, Maury publia un grand nombre de cartes nouvelles, qui, ainsi que les anciennes, furent généreusement offertes par le gouvernement des États-Unis aux marines étrangères. Neuf éditions des Instructions nautiques[1] (Sailing directions) se succédèrent, contenant, chacune des corrections, des développements, de nouvelles études faites sur les documents recueillis et coordonnés à l’Observatoire de Washington.

Dans l’introduction à sa neuvième édition, Maury disait : « Toutes les puissances maritimes coopèrent à notre œuvre, et leurs navigateurs, militaires ou marchands, nous apportent le concours de leurs observations. Quelques-unes ont même été plus loin et ont organisé chez elles une centralisation indépendante pour les données recueillies par leurs marins ; ce sont : l’Espagne, le Portugal, la Hollande, l’Angleterre, la France, le Danemark, la Suède et la Norvége.

« Ceux qui ont bien voulu venir en aide a nos recherches peuvent à bon droit s’en féliciter, tant à cause du succès déjà acquis, que pour les nouveaux collaborateurs qui, sur tous les points du globe, viennent nous aider de leurs conseils ou nous enrichir de leurs observations. »

Nous citerons ici quelques-unes des traversées, abrégées par l’usage des cartes de Maury. De Baltimore à l’équateur, le voyage, qui demandait une moyenne de quarante et un jours, fut réduit à vingt-quatre jours. La traversée des États-Unis en Californie, qui exigeait plus de 180 jours, fut ramenée d’abord à 135 jours, et quelques clippers sont même arrivés en 100 jours. D’Angleterre à Sydney on ne mettait pas moins de 125 jours, et le retour demandait une durée à peu près égale. Maury signala l’avantage qu’il y aurait à faire de ce voyage, une circumnavigation, et l’ensemble des traversées effectuées suivant ces instructions fut bientôt abrégé de près de moitié. On comprend que le bénéfice produit par cette économie de temps s’élevait à un total énorme, même pour la seule marine des États-Unis.

En même temps qu’il préparait ses cartes, Maury rassemblait les matériaux d’un nouvel ouvrage intitulé : Géographie physique et météorologique de la mer, qui, dès sa publication, fut traduit en plusieurs langues et lu partout avec le plus vif intérêt. Il serait impossible, dans les limites où nous renferme cette brève notice, de donner une idée suffisante de ce bel ouvrage, qui joint l’exactitude des études scientifiques aux inspirations les plus élevées de la philosophie naturelle. Nous citerons seulement parmi les principaux sujets traités : la recherche de grandes lois de la circulation atmosphérique ; la théorie générale du phénomène des moussons ; le déplacement périodique des zones de calmes et d’alizés ; des considérations sur l’action des vents envisagés comme agents géologiques ; une étude des climats et du fond de l’Océan ; une description du Gulf-Stream et des principaux courants de la mer, etc.

Le succès de ce livre, plein de vues originales, fécondes, répandit la renommée de Maury dans tout le monde civilisé. L’illustre, auteur du Cosmos, Humboldt, déclara qu’il avait fondé une nouvelle branche de la science : la géographe physique de la mer. Les principaux gouvernements de l’Europe, pour récompenser les services rendus à la science, à la navigation et au commerce par ses importantes recherches, le comblèrent d’honneurs ; il reçut de tous des titres, des décorations, des médailles, qui constataient la valeur de ses importants travaux.

C’est vers cette époque que le président des États-Unis, M. Tyler, exprima le désir de lui confier la direction du département de la marine. Il était, d’ailleurs, tenu en telle estime par les diverses administrations de ce département, qu’il put, en maintes occasions, faire écouter de judicieux conseils et adopter de sages mesures, qui épargnèrent à son pays d’inutiles dépenses. Ainsi, par exemple, il fut un des premiers à prévoir les changements qu’apporterait dans les guerres maritimes l’emploi des bâtiments à vapeur, des canons rayés et des projectiles creux, et il recommandait l’adoption de gros canons sur des petits navires. Anciennement la force d’un vaisseau de guerre était proportionnelle au nombre de ses pièces d’artillerie. Maury pensait que, dans les guerres futures, peu de bâtiments porteraient plus de six pièces de gros calibre, et la transformation actuelle des marines de guerre prouve la justesse de ses prévisions.

Dès 1848, Maury avait commencé à réunir dans une série de tableaux les grandes sondes faites par les officiers de la marine des États-Unis en diverses régions de l’Océan. L’invention, par le lieutenant Brooke, d’un ingénieux appareil propre à ramener facilement les échantillons du fond, donna une nou-

  1. Instructions nautiques, destinées à accompagner les cartes de vents et de courants, par M. F. Maury, directeur de l’Observatoire de Washington, traduites par Ed. Vancecchout, lieutenant de vaisseau. — Publiées au Dépôt de la marine.