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LA NATURE.

on avait donc sous les yeux une verrerie du temps des Césars ! Enfin, en présence des trouvailles faites, dans les sarcophages de Thèbes et de Memphis, de parures et autres objets en verre, on ne peut mettre en doute que les Égyptiens connaissaient cette matière dès la plus haute antiquité. Il semblerait, en outre, que les Romains avaient rapporté de l’Orient un procédé que nous ne connaissons pas, pour faire un verre malléable, qui, au lieu de se briser par le choc, se bossuait comme un métal, et pouvait être redressé de même ; toutefois, cette matière n’était peut-être que du verre filé par un procédé analogue à celui que M. Bonnel, de Lille, employait en 1837, pour fabriquer une étoffe de verre aussi souple que possible.

Les anciens devaient aussi connaître les verres grossissants : en effet, Cicéron raconte avoir vu l’Iliade entière écrite sur un tissu qui pouvait tenir renfermé dans une coquille de noix ; le cachet d’une bague qui figure dans la collection du docteur Abbot, et qu’on suppose avoir appartenu à Chéops, 500 ans avant J.-C, est gravé si finement que les traits ne peuvent être aperçus sans le secours d’une loupe. Il en est de même de l’anneau de Michel-Ange, à Parme, dont la gravure paraît remonter à plus de 2 000 ans.

Malgré les admirables progrès de la chimie moderne, les procédés de fabrication de certaines couleurs employées anciennement semblent avoir été perdus ; les temples égyptiens et les murs de Pompéi sont ornés de peintures dont les teintes sont aussi vives que si elles dataient d’hier ; il est vrai que ces peintures ont été longtemps à l’abri de l’action de l’air et du soleil, mais elles ont résisté à d’autres causes de destruction. Les couleurs que nous employons actuellement pourront-elles, dans un siècle, soutenir la comparaison avec celles de ces beaux missels du moyen âge qui, depuis 500 ans, défient l’action du temps ? On a imité les vitraux du quinzième siècle, mais on ne les a ni surpassés ni même égalés : les tableaux de Titien et de Raphaël conservent encore une richesse de tons et un éclat prodigieux, alors que certaines peintures modernes s’écaillent et se ternissent d’une façon déplorable.

L’industrie des métaux doit, d’après la Bible, avoir eu son origine en Asie ; c’est en effet de l’Orient, que paraissent être venus depuis en Europe, avec les Arabes, les secrets de la métallurgie. On connaît la description des merveilles du célèbre palais d’Été, résidence de l’empereur de Chine ; quand les Français y pénétrèrent, après la prise de Pékin, ils furent émerveillés à la vue des trésors d’orfèvrerie et de ciselure, restes d’une industrie disparue, que renfermait ce palais. Les lames de Damas des croisés, si renommées pour leur trempe, ne sont nullement rouillées après huit cents ans ; à l’Exposition de Londres, on en a vu une tellement bien trempée, que la pointe pouvait, sans danger de rupture, être ramenée en contact avec la garde ; cette lame pénétrait facilement dans un fourreau contourné comme un tire-bouchon. Le voyageur Georges Thompson assure avoir vu, à Calcutta, un Indien lancer en l’air une poignée de soie floche et la couper en deux avec son sabre avant qu’elle fût retombée à terre. Du reste, la fabrication de l’acier dans le Punjab, province de l’Hindoustan, jouit encore d’une juste célébrité.

Tout porte à croire que les Égyptiens et les Romains disposaient de machines au moins aussi puissantes que les nôtres, et sans lesquelles il leur eût été impossible d’élever leurs gigantesques constructions. Il suffit, pour s’en convaincre, de remarquer à quelles distances considérables ils transportaient les matériaux de leurs temples, ainsi que des obélisques et des sphinx énormes en granit : la colonne de Pompée, près d’Alexandrie, porte à son sommet un chapiteau, d’un poids évalué à 1 000 kilogrammes, régulièrement posé sur le fût à 27 mètres de hauteur ! Il existe, peut-être, des motifs sérieux de croire, selon l’opinion d’Arago, que les Égyptiens employaient la vapeur comme force motrice : d’après M. Phillips on aurait retrouvé, dans des fouilles, les plans d’un navire, avec tous les détails d’une machine qui ne pouvait raisonnablement être utilisée qu’au moyen de cet agent. L’ingénieur Bramah reconnaît avoir puisé dans un autre dessin égyptien l’idée de son célèbre et si ingénieux perfectionnement de la presse hydraulique.

Les secrets d’autres arts, d’autres connaissances, de ces époques reculées dont il ne reste que les vestiges, sont peut-être à jamais ensevelis dans les tombeaux de Thèbes et de Ninive !

P. de Saint-Michel.

L’OISEAU MOQUEUR

Cet oiseau est le plus remarquable chanteur du monde des bois en Amérique. Il est aussi bon musicien que le rossignol de notre Europe, mais il possède en outre le don curieux de contrefaire le chant des autres oiseaux ; on dirait qu’il les imite en raillant leur allure, d’où lui est venu son nom. Le moqueur chante avec goût, avec art ; il a l’habitude de préluder, en s’élevant les ailes étendues, puis il retombe la tête en bas, au point d’où il est parti ; il recommence alternativement ce mouvement, tout en lançant ses notes pures, et c’est ce qui a permis à quelques observateurs de dire qu’il mêlait la danse à ses chants. Quelquefois, lorsqu’il fait entendre des roulements légers, il s’élance dans l’espace et tourbillonne avec grâce, en décrivant une multitude de cercles qui se croisent. Tantôt il accompagne ses cadences brillantes d’un fort battement d’ailes ; tantôt, au contraire, il fait entendre ses arpèges en se livrant à des bonds multipliés.

Le plumage de ce rossignol d’Amérique ne répond nullement à son chant ; les couleurs en sont ternes,