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LA NATURE.

terre, ne s’entrevoyait plus que sous un brouillard indécis.

Des observations analogues ont été faites plusieurs fois comme nous venons de le dire par quelques aéronautes ; mais je ne crois pas que l’on ait jamais vu l’ombre d’un ballon se découper sur un nuage avec une intensité telle, qu’on eût dit un effet de lumière électrique. Le spectacle qu’il nous a été donné de contempler était vraiment saisissant, et ce genre de spectre aérostatique doit être certainement considéré comme une des plus belles scènes aériennes qui puisse s’offrir au voyageur en ballon[1].

Mais il y a quelques mois, le 16 février dernier, il nous a été possible d’observer ces phénomènes dans des conditions plus exceptionnelles encore. En effet pendant trois heures consécutives, nous n’avons pas cessé un seul instant, d’apercevoir sur la nappe de nuages au-dessus desquels nous planions, l’ombre de notre aérostat sans cesse enveloppée d’un contour irisé. Jamais semblable occasion ne s’est offerte à l’observateur aérien, de bien étudier les circonstances de production de ces jeux de lumière ; jamais d’ailleurs panorama plus imposant de montagnes de nuages ne s’est peut-être aussi présenté aux regards d’un aéronaute.

À midi, nous venons de quitter la terre, cachée sous un épais manteau de brumes ; nous traversons le massif des nuages, et nous sommes éblouis tout à coup par les torrents de lumière que lance un soleil des tropiques, ruisselant de feu, au milieu d’un ciel azuré. Ni la mer de glace, ni les champs de neige des Alpes, ne donnent une idée de ce plateau de vapeur qui s’étend sous notre nacelle, comme un cirque floconneux où des vallées d’argent apparaissent au milieu des flocons de feu. Ni la mer au soleil couchant, ni les flots de l’Océan éclairés par l’astre du jour au zénith n’approchent en splendeur de cette armée de cumulus arrondis qui ont aussi leurs vagues et leurs montagnes d’écume, mais qui ont en plus une lumière d’apothéose.

Phénomène d’optique observé en ballon, le 16 février 1873.

Dès que notre ballon a dépassé d’une cinquantaine de mètres environ la plaine des nuages, son ombre s’y projette avec une netteté remarquable, et un magnifique arc-en-ciel circulaire apparaît autour de l’ombre de notre nacelle, La gravure ci-contre, dont le croquis a été fait d’après nature par notre frère qui nous accompagnait, donne une idée très-exacte de cette apparition. L’ombre de la nacelle forme le centre de cercles irisés et concentriques, où se distinguent les sept couleurs du spectre : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orange et rouge. Le violet est intérieur, et le rouge extérieur, ces deux couleurs sont en même temps celles qui se révèlent avec le plus de netteté. Nous sommes au moment de cette observation à l’altitude de 1 350 mètres au-dessus du niveau de la mer.

L’aérostat, dont le gaz se dilate par l’effet de la chaleur solaire, continue à s’élever rapidement dans l’atmosphère, son ombre diminue à vue d’œil ; bientôt à 1 700 mètres d’altitude, le cercle irisé

  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXV, p. 38 (1872).
    Le même volume de cette publication contient, page 161, une intéressante communication de M. Gay. « La description du phénomène observé en ballon par M. Tissandier, dit ce savant, me rappelle un fait identique observé par moi, il y a quatre ans. Le 3 septembre 1868, vers cinq heures du soir, je me trouvais, avec plusieurs personnes, sur l’étroite plate-forme qui termine le Grand-Som (2 033 mètres d’altitude) et dont les parois se dressent à pic, au-dessus de la Grande-Chartreuse. Des nuages nous enveloppaient à chaque instant ; le soleil, près de se coucher, projeta notre ombre et celle de la croix plantée sur le sommet, un peu agrandie et entourée d’un cercle irisé… présentant toutes les couleurs du spectre, le violet à l’intérieur, le rouge au dehors. »