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LA NATURE.

qu’on leur a enlevé, ce qu’il est si difficile de leur rendre. Elles ont spécialisé leurs navires, en les divisant en trois catégories, chacune avant un type et un emploi particuliers. Dans la première, figure ce qui tient lieu en ce moment de l’arme des Duquesne, des Tourville, des Ruyter, des Suffren et des Nelson, nous voulons dire le navire d’escadre.

La seconde comprend les navires de croisières, destinés à faire flotter au loin le pavillon national ; leur cuirasse est légère et leur rapidité, excessive ; ils ont une artillerie peu nombreuse, mais puissante.

Les garde-côtes, béliers ou monitors, comme on voudra les appeler, composent la troisième catégorie. Leur nom indique leur fonction. N’ayant pas à s’éloigner du rivage et, par conséquent, n’étant pas contraints de se charger du combustible et des provisions nécessaires aux longues traversées, on a pu donner à ces bâtiments, qui constituent un type entièrement nouveau dans les flottes, une épaisseur considérable de cuirasse et une puissante artillerie. Quelques-uns, la Dévastation anglaise et le Glatton, sont, à ces points de vue, formidables.

La Couronne (1863).

Quant au navire d’escadre, nous le répétons, quoiqu’il figure dans toutes les marines, il est encore l’idéal obstinément mais infructueusement poursuivi. Faut-il renoncer à l’atteindre ? Ce n’est pas l’avis d’un grand nombre d’ingénieurs, d’artilleurs et d’officiers de marine, et leur opinion, on l’a vu au début de cette esquisse, a exercé une influence assez considérable pour que l’Amirauté anglaise l’ait subie. Puisqu’il est impossible de rendre invulnérable le navire d’escadre sans lui enlever les qualités d’évolution, de sécurité et d’habitabilité, on le décuirassera. « La suppression de la cuirasse et de la part qu’elle prend dans le déplacement du navire, disait sir W. Armstrong aux membres du Committe for the designs of Ships of War, permettra d’accroître dans des proportions énormes la puissance offensive et la vitesse, au profit du nombre des navires, de manière que la perte d’un seul bâtiment ne sera plus comme aujourd’hui un malheur public. Nous aurons alors des vaisseaux comparativement petits, mais rapides et puissamment armés, et quoi qu’il arrive, de pareils navires ne seront jamais démodés. Il faudrait les construire en fer, mais les plaques composant le bordé auraient beaucoup plus d’épaisseur que les plaques employées dans les constructions ordinaires, afin qu’elles puissent résister aux atteintes de la mitraille ou aux projectiles en acier du canon Gatling. Leur artillerie comporterait une ou deux pièces capables de percer les cuirasses les plus épaisses ; le reste se composerait de pièces légères, mais de gros calibre, susceptibles de lancer de gros obus avec une vitesse moyenne. Ainsi construit et armé, un navire serait pour un cuirassé un antagoniste formidable, même dans un duel d’artillerie, tandis que comme bélier, ou s’il faisait usage de la torpille, sa vitesse supérieure et sa facilité de manœuvre et d’évolution lui donneraient un grand avantage sur son pesant adversaire.

« Mon opinion est que des navires en fer, rapides, divisés en nombreux compartiments, avec leurs chaudières et leur machine au-dessous de la flottaison, cuirassés seulement dans une très-petite partie de la coque, constituent la classe des navires de mer, et, qu’en présence des progrès de l’artillerie et des nouveaux moyens d’attaque, la prudente recommande hautement ces constructions… »

Le Comité des plans des navires de guerre a trouvé sir W. Armstrong trop radical ; mais comme la véritable souveraine de l’Angleterre, l’opinion publique, lui donnait raison, l’Amirauté, nous l’avons dit, s’est décidée à mettre en chantier un navire, le Téméraire, qui sera construit sur les indications de l’illustre artilleur. En conséquence, il se composera d’une citadelle très-fortement blindée, destinée à protéger les machines, les canons et l’équipage, réduit porté par un radeau non cuirassé, divisé en cellules ou contenant, quelque substance légère, telle que du liège, de manière à pouvoir être traversé impunément par les projectiles. On sait aujourd’hui que l’obus n’est dangereux que lorsque la résistance qu’il rencontre est considérable.

Devant cette détermination des chefs de la première marine du monde, toutes les puissances qui ont à cœur le maintien de leur influence navale continueront-elles à construire des navires de 9 à 10 000 tonneaux de déplacement, des navires de 98 mètres de longueur ? Continuera-t-on à consacrer à chacun de ces formidables et cependant si fragiles instru-