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LA NATURE.

de façon que le fil ne gêne pas les mouvements de son archet, et il joue des fragments de mélodies simples dans un mouvement lent (chaque son doit durer au moins une seconde). Les vibrations des cordes se transmettent au chevalet, à la lame métallique, au fil et à la barbe de plume qui vibre synchroniquement. Il ne reste plus qu’à inscrire ces vibrations.

« L’instrument enregistreur se compose d’un cylindre métallique M, dont l’axe est muni d’une vis mobile dans un double écrou solidement fixé soit à une table, soit à un mur. Le cylindre est recouvert d’une feuille de papier qu’on enfume en la faisant tourner au-dessus de la flamme fuligineuse d’une lampe à huile. Un diapason D, de 300 à 500 vibrations doubles par seconde, muni d’un style en clinquant, est solidement encastré dans un étau ou dans le mur, et disposé de manière que son style vibre suivant les génératrices du cylindre : ces vibrations servent à marquer le temps, et le diapason sert de chronographe, sans qu’il soit nécessaire que le mouvement qu’on donnera tout à l’heure au cylindre soit régulier et uniforme. D’ailleurs, on avance la barbe de plume de façon que sa pointe effleure le papier noirci et qu’elle vibre tout près du style et, comme lui, suivant les génératrices du cylindre.

« Ces dispositions prises, on met le diapason en vibrations soit avec un archet, soit par le choc d’un tampon garni de peau, et l’instrumentiste joue pendant qu’on fait tourner le cylindre soit à la main, soit à l’aide d’un moteur quelconque, avec une vitesse convenable.

« On obtient ainsi un graphique semblable à celui dont la figure 2 ci-contre reproduit un fragment, où chaque son de la mélodie est représenté par une forme de vibrations différente. On compte pour chaque son le nombre de vibrations correspondant à 100 vibrations du diapason, par exemple, et les rapports des nombres obtenus donnent les valeurs des intervalles…

« Pour pouvoir conserver le graphique, après l’avoir détaché du cylindre, on le fend longitudinalement, on le trempe dans une dissolution de 4 pour 100 de gomme laque dans l’alcool ; il se trouve ainsi recouvert d’une couche très-mince d’un vernis inaltérable.

« Si, au lieu de mesurer des intervalles mélodiques, on veut mesurer des intervalles harmoniques de deux sons, on accorde simultanément deux cordes de l’instrument (comme à l’ordinaire) soit à la tierce, soit à la quinte, soit à la sixte, etc., jusqu’à ce qu’il n’y ait pas de battement et que l’oreille soit pleinement satisfaite ; puis on inscrit séparément les sons des deux cordes ainsi accordées. »

Les expériences ont été faites avec l’aide de plusieurs personnes musiciens amateurs, ainsi qu’avec le concours d’artistes distingués, tels que MM. Léonard et Ferrand, violonistes, et Seligmann, violoncelliste : elles ont porté spécialement jusqu’à présent sur les intervalles de mélodies sans modulations. Voici quelques-uns des résultats les plus intéressants.

Nous supposerons que nous considérions 1 000 vibrations de la tonique ut : d’après la théorie, les notes , fa et sol doivent faire pendant le même temps, respectivement, 1 125, 1 333 et 1 500 vibrations ; l’expérience a donné 1 128, 1 330 et 1 500 vibrations pour les moyennes d’un grand nombre d’observations. Ces résultats suffiraient pour prouver l’exactitude de la méthode, alors même que des expériences directes, dont nous n’avons pas parlé pour ne pas compliquer la question, ne l’auraient pas mise en évidence.

Dans la gamme majeure, la tierce et la sixte doivent correspondre aux nombres suivants :

  mi   la   
Gamme pythagoricienne, 1 266 1 687.
Gamme naturelle, 1 250 1 667.
Diverses séries d’expériences fort concordantes ont donné les nombres
suivants : 1 265 1 686.

Ces valeurs sont, on le voit, entièrement d’accord avec les valeurs de la gamme pythagoricienne.

Pour le si, on n’a pas trouvé un accord aussi satisfaisant entre la théorie et l’expérience : on a trouvé 1 917 au lieu de 1 898 (gamme de Pythagore), ou de 1 875 (gamme naturelle) qu’indiquait la théorie ; du reste, c’est encore de la valeur pythagoricienne que le nombre trouvé se rapproche le plus. Il est intéressant de remarquer que, dans les expériences faites, le si servait de note sensible et se résolvait sur l’ut tonique ; dans ces conditions, les musiciens savent que le si est plus élevé que dans le mouvement inverse : la valeur 1 917 indique bien un son plus rapproché de l’octave de la tonique 2 000, que ne le donne la valeur pythagoricienne. Il serait intéressant d’avoir le complément de ces expériences et de déterminer la valeur du si dans une gamme descendante.

Dans la gamme mineure

la1 si1 ut2 2 mi2 fa2 sol2 la2

des résultats analogues ont été obtenus : les notes si1, mi1 et la2, qui ont la même valeur dans les deux systèmes, savoir, 1 125, 1 500 et 2 000, la tonique la étant représentée par 1 000, ont été trouvées respectivement caractérisées par les nombres 1 124, 1 501 et 2 001 en moyenne ; voici les résultats correspondant aux autres notes :

  ut fa sol
Gamme pythagoricienne, 1 185 1 333 1 580 1 898
Gamme naturelle, 1 200 1 350 1 600 1 875
Moyenne des expériences, 1 186 1 334 1 582 1 901

Il ne saurait y avoir de doute : dans les mélodies majeures ou mineures, les notes exécutées soit par des amateurs exercés, soit par des artistes, sont bien les notes de la gamme pythagoricienne.

Il y a lieu de faire une remarque intéressante sur la gamme mineure : c’est que les écarts entre les diverses séries d’expériences, sans atteindre jamais de bien grandes valeurs, sont moins faibles cependant