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LA NATURE.

dis que les expériences de M. Helmholtz donnent des résultats conformes à sa théorie ; en particulier, les suites d’accords exécutés sur un orgue susceptible de produire à volonté les notes de l’une ou l’autre gamme, sont plus agréables avec les notes naturelles qu’avec celles de Pythagore : « Les accords pythagoriciens, dit M. Helmholtz, paraissent durs, troubles, tremblotants, irréguliers. »

Peut-être serait-il possible d’admettre que chacune des deux gammes a sa raison d’être ; que la gamme pythagoricienne est celle qu’on emploie exclusivement lorsque l’on exécute un chant, une mélodie, tandis que la gamme naturelle sert aux accompagnements, aux accords. Cette solution serait satisfaisante, puisqu’elle permettrait d’accepter des séries d’expériences qui, au premier abord, semblent devoir s’exclure absolument. Mais certains faits rapportés par M. Helmholtz semblent en opposition avec cette possibilité d’admettre deux gammes.

M. Helmholtz rapporte, en effet, dans son ouvrage : Théorie physiologique de la musique, le résultat d’observations faites sur la Société chorale de Londres, « the Tonic sol-fa Association, » et diverses expériences exécutées avec l’aide d’un chanteur et d’un violoniste, et dans lesquelles il comparait le son émis par le musicien avec les sons d’un orgue donnant la gamme naturelle ; il a toujours trouvé que le son du soliste était celui de cette gamme : il s’agissait cependant, dans ces conditions, d’intervalles mélodiques et non pas d’accords.

Fig. 2.

D’autre part, des expériences récentes, qui sont dues à MM. Cornu et Mercadier, semblent permettre de conclure que la gamme pythagoricienne seule doit être admise au point de vue mélodique. Ce sont les résultats dus à ces observateurs habiles et consciencieux que nous voulons exposer avec quelques détails : nous indiquerons l’état actuel des expériences, nous réservant d’y revenir lorsque de nouveaux faits se dégageront avec netteté de ces recherches qui se continuent actuellement.

Dans ces expériences, MM. Cornu et Mercadier ont cherché à éviter toute intervention de l’expérimentateur ; ils ont voulu que le son produit par le musicien pût s’inscrire directement, sans que l’on eût à le comparer par l’oreille avec un autre son donné comme type. Sans nous arrêter aux premières recherches, dans les lesquelles ils employaient le phonautographe, nous décrirons la manière dont ils opèrent maintenant et par laquelle ils ont obtenu les résultats intéressants que nous rapportons ci-après.

Remarquons d’abord que les deux gammes qu’il s’agit de comparer ont un certain nombre de sons identiques, sur lesquels, par suite, il n’y a pas de doute et qui pourront servir de points de repère, qui donneront des vérifications ; ce sont le , le fa et le sol ; le mi, le la et le si sont les notes pour lesquelles il existe une différence. Cette différence n’est pas d’ailleurs bien considérable ; pour le mi, par exemple, la valeur pythagoricienne et la valeur généralement adoptée sont dans le rapport de à soit  : c’est-à-dire que tandis que l’ut fait 1 000 vibrations, le mi pythagoricien en fait 1 266 et que le mi de Zarlin et de M. Helmholtz n’en fait que 1 250. La différence est donc seulement de 16 vibrations sur plus de 1 200; cette valeur est ce que l’on appelle un comma. « Or, la valeur du comma est très-petite, bien qu’elle soit très-sensible à l’oreille, dit M. Mercadier[1], auquel nous empruntons la description de l’appareil ; il faut donc, pour la mettre en évidence, avoir recours à des musiciens exercés et employer des appareils suffisamment précis.

« En second lieu, quand on veut mesurer des intervalles formés par des sons successifs, il convient de considérer ces intervalles dans le cours même d’une mélodie et non isolément. Par suite, si l’on emploie comme moyen de mesure le procédé qui consiste à faire inscrire par le corps sonore ses propres vibrations (et dans l’état actuel de la science, il n’y en a pas de meilleur), il est nécessaire de pouvoir inscrire d’une manière continue les vibrations des sons constituant des fragments de mélodie à mesure qu’on les exécute sur un instrument.

« Enfin, il est évidemment indispensable que l’enregistrement des vibrations soit automatique, indépendant de la volonté des observateurs ; il faut que l’exécutant n’ait pas à s’en préoccuper, qu’il ne le voie pas même fonctionner, afin que son attention soit concentrée tout entière sur la musique qu’il joue.

« Après bien des essais, nous avons réussi à remplir ces conditions ; l’appareil dont nous nous servons est fort simple …

« L’expérience prouve qu’un fil métallique d’acier, de cuivre, de laiton, etc., sans tension, soutenu seulement de façon que ses vibrations puissent s’effectuer librement, transmet à une de ses extrémités, par vibrations transversales, les sons émis par un corps sonore fixé à l’autre extrémité.

« On prend un pareil fil de 5, 6, 8, 10, etc. mètres de longueur, suspendu au moyen de rondelles étroites de caoutchouc (fig. 1); on soude à une extrémité une petite lame de laiton mince L, que l’on place entre la table d’harmonie d’un instrument à cordes et les pieds du chevalet ; l’autre extrémité est fortement pincée dans un lourd support S. Près du point fixé on soude une petite lame de clinquant c, à laquelle on attache une barbe de plume b avec un peu de cire molle (cette disposition donne aux vibrations une amplitude plus grande que si la barbe était fixée directement au fil). Un instrumentiste se place

  1. Journal de physique, t. I, 1872, p. 114.