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LA NATURE.

en culture aux environs de Cayeux. Il y aurait lieu de supposer que la craie, constamment humidifiée par les infiltrations des eaux à travers les sables, aurait été soumise à un foisonnement, principal motif d’un exhaussement de la surface. Cet effet a déjà été mentionné pour le bri ou terre spongieuse des environs de Napoléon-Vendée, qui occuperait tout un ancien golfe. L’augmentation de volume d’un certain sol, par suite de l’imbibition constante, est une explication plausible et plus simple que l’intervention des grandes perturbations intérieures, sur lesquelles on manque d’éléments fondamentaux.


LA VIE ANIMALE
dans les grandes profondeurs de la mer.

Les sondages qui ont été entrepris dans ces dernières années par les marines d’Angleterre et d’Amérique, nous ont révélé tout un monde nouveau, peuplé d’une multitude d’organismes. Jusqu’au moment de la pose du câble transatlantique, on croyait que, dans les grandes profondeurs de la mer, la vie animale était impossible, autant à cause de la privation d’air et de lumière, que de l’énorme pression qu’elle supporte. Il est effectivement difficile de comprendre qu’un être quelconque, si infime qu’il soit, puisse vivre sans oxygène et sous une colonne d’eau qui atteint, dans les grands fonds un poids de 200 kilogrammes par centimètre carré ; à ce point, les thermomètres se brisent, les instruments délicats où se trouve la moindre bulle d’air remontent cassés comme par un choc.

Le fond de la grande vallée interocéanique qui s’étend entre les deux mondes, est couvert d’une vase molle, de teinte neutre, qui, quand elle est examinée au microscope, laisse voir une multitude de petites sphères agglomérées les unes sur les autres. Le professeur Carpenter leur a donné le nom de globigérinées ; elles sont en si grande abondance sur certains fonds, qu’elles composent les trois quarts du dépôt, quoique leur dimension excède à peine quelques fractions de millimètre.

Ces organismes rudimentaires ne sont pas les seuls foraminifères que l’on rencontre dans le fond de la mer ; il semble qu’avec l’accroissement de la profondeur, l’organisation animale se simplifie progressivement. Ainsi ceux qui sont ramenés par la drague sur les bas-fonds siliceux (fig. 1) se rapprochent davantage du coquillage ; leur test est beaucoup plus compliqué que ceux qui jonchent le sol sous-marin dans les grandes profondeurs.

Fig. 1. — Principaux types de foraminifères ramenés par la drague dans l’océan Atlantique. Grossissement moyen de 50 diamètres.

Ces sujets microscopiques, rapprochés les uns des autres en séries, permettent l’établissement de phases d’existence propre, quoique modifiées selon les familles. Les espèces que l’on trouve dans l’océan Atlantique ne sont pas les mêmes que celles de l’océan Pacifique ; s’il y a quelques types mélangés individuellement, l’ensemble conserve le signe caractéristique d’une localité. Les déplacements paraissent avoir eu pour cause principale l’action des courants qui ont contribué à la migration embryonnaire. Ainsi, dans la figure 2, nous retrouvons exceptionnellement quelques sujets communs à la faune de l’Atlantique. Depuis que la drague a permis de rechercher au fond des eaux et à grande distance de terre les formes organiques qui habitent le sol sous-marin, celles de grande taille aussi bien que celles qui sont microscopiques, on peut être certain que tout dépôt marin contient des preuves de son origine ; elles sont un utile point de repère pour la détermination de l’âge géologique d’un terrain et la comparaison entre l’époque actuelle et les époques passées ; les corps organisés fossiles sont, pour le géologue, ce que sont les médailles pour l’antiquaire : ils montrent nettement la formation graduelle et régulière de l’écorce terrestre.

La comparaison des matériaux extraits des régions sous-marines actuelles avec ceux que l’on trouve enfouis dans les terrains formés par les sédiments anciens, ouvre une ère nouvelle aux hypothèses géologiques. Les travaux des savants autorisés tendent à démontrer que, sous bien des rapports, les dépôts modernes dans une multitude de localités ont une analogie frappante avec ceux des mers de la période crétacée. On retrouve, en effet, une grande partie des foraminifères et coquillages ramenés du fond de la mer dans les grandes assises de craie du nord de l’Europe. Ces organismes sont maintenant ensevelis dans le lit de l’Océan, où leurs espèces se propagent encore à la surface de cette boue visqueuse, qui ne serait autre que de la craie en formation, attendant un soulèvement quelconque pour émerger du fond des eaux.

Nous serions donc encore en pleine époque crétacée ! S’il en était ainsi, les données de la géologie