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LA NATURE.

de profitable à l’agriculture. Ce sont eux également qui ont inventé la pisciculture ou l’élevage artificiel des poissons domestiques. Au milieu des espèces si variées qui peuplent leurs eaux fluviales, ils ont su en distinguer un certain nombre auxquelles, en raison de leurs caractères physiologiques, de leur conformation et de leurs instincts, ils ont cru devoir donner le nom de poissons de la famille (Kia-yu). Ces espèces, que l’on retrouve dans les viviers de toutes les fermes, appartiennent au genre cyprin… Leur origine est encore inconnue. Les ouvrages d’ichthyologie chinoise disent qu’elles ont existé dans les grands fleuves de l’empire, où, suivant l’expression des pêcheurs, « elles sont aussi nombreuses que les étoiles au firmament. » M. de Thiersant indique les procédés, aussi simples que pratiques, que les Chinois mettent en usage pour élever les poissons domestiques, et il décrit les admirables dispositions que les législateurs ont prises pour protéger les habitants des eaux contre leurs ennemis, et pour assurer leur développement et leur propagation. « Hâtons-nous, dit-il, de suivre l’exemple du peuple le plus industrieux de l’univers ; et tâchons d’appliquer avec discernement à nos contrées le résultat de son expérience séculaire. »

La multiplicité des filets, des appâts, des engins de pêches employés par les Chinois, est vraiment effroyable ; lignes de fond, crocs en fer, éperviers de toute grandeur, de toute forme, sont maniés là-bas avec une habileté, une précision inconnues à nos pêcheurs européens. — Au milieu des nombreuses descriptions de M. de Thiersant, nous choisissons quelques faits curieux, pris à peu près au hasard, car ils ne représentent qu’une bien faible partie des surprises que nous offre son bel ouvrage.

Fig. 1 — Pêche aux cormorans, d’après un dessin chinois.

La pêche aux cormorans, très-usitée en Chine, dans les lacs et les étangs où il n’y a pas de courants est d’autant plus attrayante pour nous, qu’elle pourrait très-bien s’exécuter dans nos climats ; elle a été pendant quelque temps l’objet d’une pratique assez assidue en Angleterre. Voici les curieux détails que M. de Thiersant nous donne à ce sujet :

Le cormoran est très-estimé des Chinois pour la pêche. Ils lui donnent le nom de lou-sse ; on le trouve dans plusieurs provinces, mais on recherche particulièrement ceux du Hou-nan et du Ho-nan. Bien dressés à la pêche, le prix des cormorans est assez élevé et va jusqu’à 60 talels (160 fr.) la paire. Ce prix s’explique par les longs soins et la patience qu’exige leur éducation. Les cormorans peuvent pondre à deux ans, et au moment de cet acte, qui a généralement lieu à la troisième lune, on prépare dans un endroit retiré et obscur, un nid de paille sur lequel la femelle vient pondre ses œufs, qu’elle couve presque toujours elle-même. L’incubation dure trente jours. Pendant les sept premiers jours, on donne aux oiseaux de la viande hachée très-menue qu’on leur distribue trois fois par jour et qu’ils préfèrent à toute autre nourriture. Néanmoins, après ce temps, on ajoute à la viande de bœuf, des petits poissons. Le dixième jour, l’éleveur transporte les petits cormorans sur son bateau, où ils prennent aussitôt place sur le perchoir commun, dont les bois sont garnis de chanvre ; dès qu’ils sont assez forts, on les met à l’eau et on les laisse quelques minutes au milieu de leurs aînés. Au bout de quelques semaines, ils sont déjà merveilleusement dressés à happer et recevoir au passage les petits poissons qui leur sont jetés du bateau. Ce n’est qu’à sept ou huit mois qu’ils sont bien dressés pour la pêche.

On leur met alors autour du cou un collier de teng-tsee (rotin) pour les empêcher d’avaler le poisson ; on leur attache à la patte une cordelette longue de deux pieds environ, et terminée par une flotte en bambou ou en bois. À un signal donné par le pêcheur qui est posté sur son bateau, la main armée d’une gaule fourchue de cinq à dix pieds de longueur, tous les cormorans plongent dans l’eau, cherchent leur proie, et quand ils l’ont saisie, reparaissent à la surface tenant le poisson dans leur bec (fig. 1). Le pêcheur accroche alors la flotte avec sa longue perche, sur laquelle monte aussitôt le cormoran, et, avec sa main retire le poisson, qui est jeté dans un filet. Lorsque le poisson est très-gros, et pèse, par exemple de sept à huit livres, les cormorans se prêtent une mutuelle assistance, l’un prenant le poisson par les nageoires, un autre par la queue, etc. Les plus petits poissons qu’ils