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LA NATURE.

vement son pavillon sur tous les points de l’horizon maritime[1].

L’île d’Ouessant est reliée à la côte ferme par une longue suite d’écueils ; pour signaler leur limite méridionale (qui forme la rive nord du chenal de l’Iroise), on a élevé sur un rocher, en pleine mer, le phare des Pierres-Noires ; ce feu est rouge, à éclipses totales de 10 en 10 secondes, et une cloche supplée la lumière, en cas de brume ; on l’a allumé le 1er mai 1872.

Du côté du passage du Four, il y a, au débouché de cette passe, dans la Manche, à deux milles (3 k. 7) du port d’Argenton, un roc isolé qui a donné son nom au chenal ; on résolut d’y élever un phare pour éclairer l’issue septentrionale de cette passe. L’entreprise était difficile, le roc du Four ne dépasse le niveau de la haute mer que de deux mètres et ne présente qu’une masse abrupte et glissante d’un granit très dur. Néanmoins la construction a pu être effectuée en trois ans sans accident. Actuellement on procède à l’aménagement intérieur du phare et on compte pouvoir l’allumer à la fin de l’année (1873). Il se compose d’une tour en granit surmontée d’une tourelle en tôle.

Les phares étant très-multipliés sur cette côte, comme on peut le voir sur notre carte, il importe de varier le caractère de leur lumière pour rendre impossible la confusion des feux entre eux ; aussi le nouveau foyer lumineux du Four, élevé de 28 mètres au-dessus de la haute mer, présentera-t-il un caractère spécial, encore inappliqué ; il sera alternativement fixe et scintillant pendant 30 secondes pour chacun des deux aspects, les éclats de la scintillation se succédant à des intervalles de 3 secondes trois quarts. La lumière sera fournie par une lampe à trois mèches concentriques alimentées à l’huile minérale.

En temps de brume une trompette à air comprimé résonnera toutes les 5 secondes ; mais, comme dans le phare, on dispose de trop peu de place pour y installer les pompes et réservoirs de la trompette de Daboll, M. Lissajous, notre savant professeur de physique, a simplifié beaucoup les dispositions de l’instrument : les chaudières, d’une force totale de 4 chevaux, envoient directement dans le cornet un jet de vapeur ; ce jet entraîne de l’air qui fait résonner la trompette, et un mouvement d’horlogerie règle le jeu des tiroirs (mus par la vapeur), qui, aux intervalles choisis, ouvrent et ferment la communication entre la chaudière et l’appareil. L’approvisionnement du phare, en charbon et eau douce, est suffisant pour alimenter les chaudières pendant plus de 150 heures.

L’extrémité intérieure du chenal du Four sera signalée pendant les brumes par une cloche placée au phare de Kermorvan.

Désormais les issues de la rade de Brest, vers le nord et l’ouest, seront convenablement signalées, mais si les phares de Creac’h (Ouessant) et des Pierres-Noires guident, du côté du nord, dans le chenal de l’Iroise, la chaussée de Sein, qui le borne au sud, est encore très-mal éclairée.

Le cap dit Bec du Raz de Sein se prolonge vers l’Ouest, d’abord par l’île de Sein, puis par une longue suite d’écueils à fleur d’eau, formant la chaussée de Sein, et s’étendant jusqu’à 27 kilomètres du Bec du Raz. Ces écueils sont les plus dangereux de nos côtes ; ce sont eux qui rapportaient chaque année aux seigneurs de Léon, leurs possesseurs, dix mille sous d’or par le « droit de bris », par la vente des épaves des navires qui s’y brisaient ; ce sont ces rocs maudits qu’un de ces princes barates qualifiait de « pierres précieuses plus que celles qu’on admire aux couronnes des rois. »

Depuis le temps où Guilhomer de Léon a proféré ce blasphème, dont il n’avait point conscience, peu à peu la lumière s’est faite, à la fois matériellement et moralement, sur les rivages et dans les lois. La baraterie, autrefois droit régalien, est aujourd’hui qualifiée crime et les phares ont illuminé les écueils.

La commission de 1825 proposa, pour éclairer la chaussée de Sein, d’élever deux phares de premier ordre : sur le Bec du Raz et dans l’île de Sein. Ces deux feux ont été allumés le 15 mai 1839, celui du cap est fixe, celui de l’île fait briller un éclat de 4 en 4 minutes. Comme la chaussée se prolonge dans la direction de la ligne droite passant par les deux phares, tant que l’on aperçoit les deux feux éloignés horizontalement l’un de l’autre, on est assuré que l’on est en dehors des dangers : quand ils apparaissent dans la même verticale, on sait qu’il faut gouverner de manière à voir le feu fixe du cap, à gauche du feu changeant de l’île, si l’on veut entrer dans l’Iroise. Le feu du cap doit être, au contraire, à la droite de celui de l’île, si l’on veut passer dans le sud de la chaussée.

Mais, dans tous les cas, comme la lumière du phare du Bec du Raz ne se voit pas à plus de 7 kilomètres au delà de la chaussée, on sait que, dès que les deux feux sont visibles, l’un à côté de l’autre, on doit changer de route, car le péril est imminent, on arrive sur l’écueil.

Ces indications suffisent à peu près en temps ordinaires ; mais, dès qu’une brume, même légère, obscurcit l’air, le danger et les incertitudes ne peuvent plus être conjurés, car alors la lumière ne porte pas jusqu’à la limite des récifs. Pour remédier à cet état de choses, il faut établir un feu près de cette limite même, et la nature inégale et rocheuse du fond ne permettant point de mouiller un feu flottant ni d’élever un phare en fer, la difficulté est extrême. Néanmoins, en avril 1860, la commission des phares demanda qu’une étude de la chaussée fût faite sur place pour s’assurer si l’un des écueils de l’extrémité ne pourrait servir d’assiette à un phare en maçonnerie. Cet examen eut lieu en juillet de la même année.

  1. On nous écrit que la portée est, en fait, extrêmement variable, et parfois tellement réduite qu’elle n’atteint pas la limite des écueils d’Ouessant (qui s’étendent à 4 kilomètres au large) : l’instrument cesse alors d’assurer la sécurité des navigateurs.