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LA NATURE.

Mais nous voilà bien loin d’Andrian et de Fédor. On peut se demander à quelle cause il faut attribuer leurs deux anomalies. Il faut, comme dans les cas de ce genre, interroger : 1o le milieu dans lequel ils ont vécu ; 2o l’état de leurs ancêtres. — Nous ne prétendons pas établir à quelle cause il faut s’attacher davantage, mais la question méritait d’être posée. Les milieux ont une influence des plus promptes sur la toison des animaux ; ainsi nos moutons changent sous les tropiques leurs riches toisons contre une jarre courte et rare ; par contre, les animaux qui viennent des pays chauds, dans notre jardin d’acclimatation, acquièrent en quelques années une robe protectrice. Mais, sur le système pileux de l’homme, les milieux paraissent avoir peu d’influence.

Nous ne connaissons pas les ancêtres d’Andrian, mais nous voyons qu’il a transmis sa difformité à son fils ; celle-ci peut donc être héréditaire, comme elle l’a été durant trois générations chez les Birmans que je citais tout à l’heure. Nous ne parlons pas des parents de la danseuse Julia ; ils sont l’un et l’autre inconnus.

L’hérédité est une cause trop puissante pour que nous n’en tenions pas le plus grand compte. Elle nous paraît la cause la plus probable de la difformité qui nous occupe.

Terminons par un nouveau trait anthropologique touchant Andrian Jeftichjew ; ceux qui regardent la religiosité comme caractérisant l’humanité apprendront avec intérêt que cet homme-chien, doué d’ailleurs d’une intelligence moins que rustique, destine tout l’argent qu’il pourra récolter à un ordre religieux de son pays, pour faire dire des prières après sa mort, car il tient, paraît-il, à porter son affreux visage en paradis.

Dr J. Bertillon.

LE PHARE D’AR-MEN

Pendant bien longtemps le nombre des feux protecteurs fut très-peu considérable sur nos côtes ; nos rivages étaient encore presque partout obscurs quand un phare fut élevé, en 1695, sur la pointe du Stiff, dans l’île d’Ouessant et un autre, au siècle suivant, en 1740, sur le cap Saint-Mathieu ; ces deux feux étaient destinés à signaler les abords de Brest, notre grand arsenal.

Néanmoins on ne pouvait toujours pas entrer de nuit dans le chenal de la rade de Brest, sans risquer de tomber sur les écueils qui le limitent au nord et au sud ; aussi, les bâtiments de guerre et de commerce s’arrêtaient-ils en pleine mer, pour attendre le jour. Dans le but de leur procurer un refuge en rade, pendant les tempêtes nocturnes, bien plutôt que pour accélérer la navigation, on construisit, aux pointes du Petit-Minou et de Portzic, deux phares, d’après le rapport de Beautemps-Beaupré ; vus l’un au-dessus de l’autre dans le même plan vertical ou cachés l’un derrière l’autre, ils indiquent que l’on est dans le bon chemin pour arriver à Brest ; il suffit de naviguer en gardant les deux feux dans cette même position relative pour atteindre au port. Ces deux phares ont été allumés le 1er janvier 1848. Dix-huit mois plus tard, un nouveau feu était inauguré, le 1er juillet 1849, sur la pointe de Kermorvan ; il permettait, en se mettant dans la direction qu’il jalonne avec le phare de Saint-Mathieu, de suivre la nuit le chenal du Four et de pénétrer de la Manche dans la rade de Brest ; il jouait un rôle analogue aux feux du Minou et de Portzic qui, dans le chenal de l’Iroise, donnent la possibilité d’entrer à Brest en venant de l’Océan.

La Bretagne forme un môle immense, allongé vers l’Amérique et, par suite, Brest, le port de la France et de toute l’Europe médiane le plus rapproché du nouveau monde, est devenu le point de départ des steamers transatlantiques.

Dès lors, le commerce, les passagers, la poste n’ont pu tolérer les lenteurs que subissaient la marine de l’État et le petit cabotage ; actuellement les navires réclament la possibilité d’arriver et de partir, à jour et à heure fixes, quel que soit l’état du ciel et de la mer, et l’on a eu à s’occuper de signaler complètement les côtes. Un grand phare de premier ordre, projetant sa clarté à 45 kilomètres et présentant un caractère nouveau, un éclat lumineux de 20 en 20 secondes, un éclat rouge alternant avec deux éclats blancs, a été construit à la pointe de Créac’h, dans l’ouest de l’île d’Ouessant ; on l’a allumé le 20 décembre 1863.

La Cornouaille française, comme sa sœur britannique, léchée par les courants chauds dérivés du gulf-stream est, pour cette raison, fort brumeuse. Or, en temps de brouillard, les phares deviennent invisibles et cessent de guider les navigateurs ; alors, la lumière étant impuissante, on a recours au son et les endroits à signaler sont pourvus d’appareils acoustiques. Le plus habituellement on emploie des cloches, mais, pour porter le son très-loin, il est préférable de se servir d’une trompette à air comprimé, dont l’invention appartient à M. Daboll et a été perfectionnée par M. Holmes.

Une trompette de ce genre a été établie en 1867 sur l’extrémité la plus au large de l’île d’Ouessant, au point le plus occidental de la France par 7° 28′ 39″ de longitude 0. La trompette résonne pendant les brumes de 10 en 10 secondes, pendant 2 secondes, et son bruit puissant se fait entendre à 11 kilomètres par un temps calme. La portée varie de 3 à 15 kilomètres suivant que le navigateur se trouve du côté du vent ou sous le vent. L’air destiné à faire résonner le puissant instrument est comprimé dans un grand réservoir en tôle, par deux pompes mises en mouvement au moyen d’une machine à vapeur de trois chevaux ; cette machine ouvre et ferme la communication entre l’instrument et les réservoirs aux intervalles adoptés, et fait tourner la trompette sur son axe, de façon à diriger successi-