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LA NATURE.

tendance à se propager que l’heure elle-même. En effet, ce fait mémorable étant constaté, on en doit conclure que les manifestations électriques ou magnétiques qui l’ont accompagnée ne pouvaient provenir d’un phénomène spécial à la terre, mais de quelque modification dont le pouvoir thermique ou magnétique du soleil était soudainement l’objet. Ces conceptions grandioses ont été développées dans un mémoire adressé à l’Académie des sciences de Paris, et inséré dans le no du 25 mars 1872, et dans le dernier de ses écrits qui se trouve dans la 1re livraison du tome Ier des Annales de l’Observatoire d’Arcetri ; cette publication commença en 1873, un an seulement après l’inauguration de ce bel établissement.

Qui pouvait croire que l’astronome, si plein de vie, de santé, de projets, allait être enlevé si rapidement à la science, et que son mémoire des Annales de l’observatoire allait être son œuvre testamentaire.

C’est à Vienne qu’il reçut le germe fatal de l’épidémie cholérique. Parti malade, il fut atteint en route de la diarrhée prœmonitoire. Arrivée à Bologne, il visita l’Observatoire, et passa la journée avec quelques amis, au lieu de se soigner comme l’indiquait la prudence. C’est avec peine qu’il gagna Florence. Un médecin appelé en toute hâte ne put arrêter les progrès du mal, qui avait pris des développements effrayants. Il expira le 12 septembre, après quelques heures de souffrance. La questure le fit enterrer secrètement, remettant, par motif de prudence, à plus tard la cérémonie funèbre. Les personnes qui l’avaient soigné, dans sa courte maladie, furent soumises à une quarantaine rigoureuse. La plupart des détails biographiques que nous avons donnés sont dus à M. Dominique Cipoletti, son suppléant à l’Observatoire de Florence. La modestie de Donati était si grande, que, sans les patriotiques efforts de ce savant, on ignorerait certainement la grandeur de la perte que les sciences astronomiques viennent de faire.

W. de Fonvielle.

LA FAUNE
DES PROFONDEURS DU LAC LÉMAN.

La Société helvétique des sciences naturelles a tenu cette année sa cinquante-sixième session annuelle. La réunion de la Société a eu lieu à Schaffhouse. Parmi les nombreux et intéressants travaux présentés, nous avons remarqué la communication de M. le docteur F. A. Forel, sur la faune des profondeurs du lac Léman. Elle nous a paru offrir un grand intérêt, au moment où les investigations des fonds aquatiques sont à l’ordre du jour.

En même temps que les naturalistes Scandinaves, anglais et américains prouvaient la possibilité de la vie sous de hautes pressions dans les grandes profondeurs de l’Océan, M. Forel a suivi depuis 1869 des études parallèles dans les lacs suisses et est arrivé à des résultats analogues. Le limon du lac Léman, au delà de 30 mètres de fond, est partout d’une finesse extrême, argilo-calcaire, assez plastique pour pouvoir être modelé et cuit au four ; si la drague en fait une coupe convenable, on y remarque à peu près constamment la superposition suivante : a. Une couche de 3 à 4 centimètres d’épaisseur, légère, jaunâtre, formée de limon minéral, de débris d’animaux morts et d’animaux vivants ; c’est la couche animale. — b. Une couche noirâtre de 1 centimètre environ d’épaisseur. — c. Une couche bleuâtre, argileuse, très-plastique et relativement très-dense, qui paraît se continuer dans la profondeur.

C’est dans la couche supérieure que l’on trouve la faune profonde. M. Forel l’étudie au moyen de deux méthodes distinctes. La première consiste à laisser reposer le limon dans une terrine plate pleine d’eau. Les animaux vivants sortent de la vase l’un après l’autre et viennent nager ou ramper dans l’eau ; au bout de quelques jours, on laisse sécher le limon et alors les pisidiums, les cypris et les cyclops viennent à la surface du limon tracer les méandres de leurs passages ; enfin, en raclant le limon sur la lame d’un couteau, l’on obtient les chétopodes et les nématoïdes. Par ce procédé l’on constate que le limon du fond du Léman est très-riche en animaux vivants, et l’on peut évaluer leur nombre à une centaine environ par litre de limon.

La deuxième méthode consiste à tamiser l’eau sale, obtenue par le lavage à très-grande eau du limon jaunâtre de la couche animale. Avec des tamis de plus en plus fins l’on obtient ainsi, d’une part, des animaux vivants assez intacts pour qu’on puisse les bien observer ; d’une autre part, les débris d’animaux morts, spécialement les coquilles de mollusques, les carapaces de crustacés, les polypiers de bryozoaires, les œufs et les excréments des diverses espèces. Le nombre de ces débris est énorme et M. Forel évalue de 5 à 10 mille les fragments de carapaces d’entomostracés, qu’il a ainsi tamisés dans un litre de limon.

Cette abondance de débris organiques peut expliquer la richesse en produits azotés et phosphatés de certaines marnes et argiles employées en agriculture comme amendements.

La faune qui vit dans les profondeurs des lacs est soumise aux conditions de milieu suivantes :

1o Les animaux sont dans l’impossibilité de venir respirer à la surface de l’air en nature ; 2o L’eau est rarement pure, le plus souvent troublée par les eaux glaciaires en été, torrentielles pendant le reste de l’année ; ces eaux, gagnant le niveau correspondant à leur densité, forment des couches horizontales troubles, dont le limon se dépose lentement dans les plus grandes profondeurs ; 3o Température très-basse de 5, 6, 7 ou 8o suivant les lacs et suivant les années ; 4o Température constante sans variations diurnes ou annuelles ; 5o Lumière nulle ou très-faible. À l’aide de procédés photographiques M. Forel a prouvé qu’en été, à Morges, la lumière n’influence plus le